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5h00, l’embauche

La maintenance, chacun est familier ou non à ce terme. Ce sujet est vaste, pour beaucoup, il évoque en premier lieu, la propreté. Montesquieu[1]disait que « la propreté est l’image de la netteté de l’âme », en découle celle de la dignité et de la responsabilité. La maintenance est peu évoquée ou pas médiatisé car ce sont des Hommes de l’ombre qui y travaille. Jérôme Denis et David Pontille soulignaient justement dans Le soin des choses[2], « S’il nous semble important d’interroger la maintenance, c’est avant tout parce que l’on en parle peu, ou en termes trop restrictifs ». Certains exercent ou ont exercé cette profession qui est essentielle pour notre quotidien, mais on ne sait pas vraiment en quoi consiste ce métier et qui sont réellement ces gens. C’est l’histoire de ma famille, celle de mon père et de mon grand-père qui travaille ou a travaillé dans ce milieu.

Début de journée au CTM dans un environnement sombre, le soleil n’est pas encore levé ©Jérémy Hadjres

Il est 4h30, le réveil sonne, une sonnerie familière quotidienne résonne dans l’obscurité du domicile situé en banlieue de Nantes plus précisément à Vertou[3]. C’est l’heure ! L’heure de partir travailler. Avant ça, un café s’impose, Roma et Volutto[4]sont à la carte, mais finalement le café au lait est opté accompagné d’un morceau de brioche locale acheté au marché la vieille, de quoi être dans la meilleure forme possible. Certains diront que ce scénario est banal mais c’est bien le quotidien de beaucoup de personnes, certains vont faire les ménages dans les bureaux ou préparer les commandes au MIN[5], d’autres partent nettoyer les villes pour maintenir la propreté et lorsque nous nous réveillons que nous pouvons circuler librement et sans encombre. C’est le métier qu’exerce mon père et qu’à exercer mon grand-père au sein de la collectivité territoriale de Nantes Métropole.

Un départ aux aurores

Sur la route du centre technique municipal, les bâillements se font sentir au volant de la voiture, il est 4h45, les rues sont désertes, on ne voit rien à l’horizon, la route est sombre et les paysages obscurs, digne d’un film apocalyptique. Mon père, Jeremy Hadjres allume la radio, Modern Talking[6]passe en direct, « c’est une de mes chansons préférées » lance-t-il. Sourire aux lèvres, c’est ce type de chanson qui permet de rester éveillé quand on est debout aux aurores et que l’on dort peu. Le rythme est à prendre, une habitude dirais-t-on plus familièrement.

La journée commence très tôt pour mon père, à tel point que le soleil n’est pas encore levé. L’arrivée sur le lieu de travail se fait à 5h du matin, l’heure d’embaucher. D’abord un bref passage au bureau pour déposer les affaires puis au vestiaire, endroit où chaque employé se retrouve et discute tout en enfilant son EPI[7]: chaussures de sécurité, pantalon et tenue au logo de la métropole pour être visible dans les rues et surtout éviter le risque de blessure qui est très courant, il faut aussi porter des gants, car certains produits sont dangereux et nocif pour la santé. Les discussions dans le vestiaire sont variées d’un bout à l’autre, on prend des nouvelles des familles de chacun ou alors on refait le match de foot de la vieille où parfois le ton monte si l’on est en désaccord.

Comme pour beaucoup de citoyens français, ma famille est issue de l’immigration. Une vague d’immigration arrivée après la Seconde Guerre Mondiale. Alors, ma famille d’origine algérienne a eu une intégration compliquée dès son arrivée. Pas le bon nom de famille pour exercer le bon métier ou bien le bon prénom, il est vrai que s’appeler Lamerie ou Nordine est parfois handicapant, car nombre de personnes ramène souvent l’origine à la personne et entrave une émancipation qui est pourtant méritante. Dans un service de nettoiement d’une collectivité, d’autres sont aussi issu de l’immigration et sont confrontés aux mêmes problèmes.

Le métier et ses techniques bien précises

Ces gens qui maintiennent nos villes sont souvent en poste à des tâches bien distinctes. D’abord ceux sur les balayeuses qui rasent les trottoirs pour retirer les feuilles ou autres déchets qui se seraient accumulés. Une autre équipe s’occupe de nettoyer le mobilier urbain, autrement dit les aires de jeu pour enfant. Mon père, lui est chef d’équipe sur un secteur de voirie où il accompagne des jeunes et planifie les journées, mais il est aussi sur le terrain quand il manque et qu’il y a des absents. Il montre aujourd’hui l’exemple, mais il ne faut pas oublier qu’il était à cette place il y a quelques années et que l’évolution au sein de la fonction publique à montrer qu’il était capable d’avoir ce poste à responsabilité. Une fonction qu’il occupe, sans grand diplôme, car il est diplômé d’un baccalauréat professionnel en maintenance d’appareils électroménagers.

Dans cette maintenance de nos villes, les techniques sont importantes et plus que nécessaire pour le dérouler du travail. Ces techniques mon père les connaît par cœur et sait quel produit il faut utiliser pour nettoyer. Sur le terrain, il y a d’abord la répartition des tâches, dans le grand hall avec les camions, chaque matin, tous les employés à son rôle et sait sur quels lieux il doit se rendre. Il y a par la suite, l’observation des lieux qui permet de savoir comment agir sur la partie sale, mon père était fier de montrer comment il travaille avec les différents produits et il était même heureux que quelqu’un puisse suivre et lui poser des questions sur son travail, une chose à laquelle il n’a pas l’habitude au quotidien. Mon père utilise en premier le souffleur pour retirer les feuilles sur l’aire de jeu, pour la plupart, elles sont coincées sous le toboggan ensuite, il asperge de produit désinfectant les autres structures et finit par le nettoyeur haute-pression pour rincer, le travail se finit par vider les sacs des poubelles publiques. Tout est cadencé, en 1h et avec une telle harmonie pour que le résultat soit le plus sérieux possible, le responsable, lui, risque de passer sur les lieux de travail pour inspecter. Il est nécessaire de travailler avec rigueur et précision pour ne pas recevoir une réflexion du supérieur. Les tâches sont effectuées en équipe, mon père n’est pas seul, ce qui relève que la cohésion doit être forte pour être le plus efficace possible, car le temps est compté et pas une minute ne doit pas être perdue.

Préparation des camions avant de partir sur le terrain © Jerémy Hadjres

Une pause est bien méritée après avoir nettoyé les moindres recoins des aires de jeu pour enfant. La machine à café est souvent en panne, mais là elle marche, mon père me souligne que pour une fois la chance lui sourit. Alors, chacun prend son café, et entre collègue, on mange les viennoiseries récupérées en chemin à la boulangerie chacun a le droit à son pain au chocolat, croissant ou pain aux raisins, il y en a pour tous les goûts. C’est la routine dans ce service de la fonction publique, chacun amène sa tournée de viennoiseries pour la pause-café de 9h.

Des tâches rythmées où l’adaptation est importante

Mais après 30min, il est temps de repartir sur le terrain. Bien que le milieu de la matinée arrive, et que la journée est bientôt terminée, il faut remotiver les troupes pour les derniers nettoyages à faire autour du quartier, il reste à vider les poubelles et à nettoyer un carrefour. Mon père charge le camion des balais et des râteaux, le vent a soufflé la nuit dernière et la rue a besoin d’un bon balayage pour que les riverains puissent se déplacer tranquillement pour aller au travail ou emmener leur enfant à la crèche. C’est un travail pénible, il fait froid, mais le bonnet réchauffe, certains riverains passent et disent bonjour accompagné de la formule « Bon courage », d’autres passent sans lancer de véritable regard ou bien un simple salut. Mon père me rappelle que ça n’arrive pas souvent. Pour la plupart du temps, les habitants filent, leur visage montre qu’ils sont pressés et parfois nonchalant. Eux, ne sont pas de cette classe-là, motivés, ils parviennent à braver le froid et le vent et finir dans les meilleures conditions le travail.

Dans ce métier, il faut parfois s’adapter à tout , les conditions météorologiques est une chose, l’équipe de mon père peut aussi être appeler sur certaines manifestations, allant de concert jusqu’aux manifestations sociales qui ont causé des dégâts. L’organisation, doit être réalisé avec rigueur, de façon que la maintenance de la propreté après le passage soit faite. Ce sont souvent des nettoyages mineurs, mais il peut arriver que des choses soit cassées, détériorés et même tagué. Le plus souvent, ce sont sur les murs ou bien les vitrines qui sont cassées et les débris de verre tapissent les trottoirs. Mon père e et ses équipes entrent alors en scène pour éviter les accidents avec les morceaux de verres. Il y a aussi les nettoyages après les différents marchés de la ville comme Zola ou les Dervalières[8]. Les commerçants laissent des épluchures et les légumes invendus dans des cageots[9]et doivent être ramassés et le sol nettoyé pour retirer les surplus de poisson. Lors des tournées pour le ramassage des encombrants, il y a des découvertes inattendues, des objets que l’on ne pense pas ramasser comme du mobilier domestique, canapé ou fauteuil peuvent-être rassemblé dans le camion benne. On oublie rapidement que beaucoup de nos concitoyens manquent de civisme et qu’ils laissent gésir[10]sur le sol des plaques de polystyrène par exemple devant leur domicile pourtant punissable par la justice comme dépôt sauvage. Les fonctionnaires d’un service nettoiement au sein d’une collectivité territoriale sont les premières personnes écologiques, ils font le tri et recyclent ce qui ramasse et nettoient au quotidien, mon père et ses collègues le font avec précision lorsqu’ils trient dans les différentes bennes.

Espaces de tri après les collectes © Jérémy Hadjres

 Des journées interminables

Après ces observations sur le terrain et les questions posées, on se rend compte que ces personnes sont primordiales et que l’on ne peut pas faire sans eux, sans quoi nos villes seraient dans des états pitoyables et l’image de ces dernières seraient honteuses voire désastreuses. La journée est longue, 8h, une journée normale dirais-t-on, mais lorsque l’on embauche à 5h du matin pour finir à 13h, on voit les heures défilées très lentement en se disant que la journée est bientôt terminée. Pour tenir le rythme chaque jour, mon père fait une sieste l’après-midi. Un moment très court mais qui lui permet d’avoir un sommeil réparateur, car ses journées sont intenses et soutenue et la fatigue apparaît assez fréquemment.

Une fois que tous les lieux de la ville en question sont nettoyés, la journée ne s’arrête pas là. Il faut rentrer au CTM[11], ramasser et ranger le matériel. Une chose essentielle à faire pour que tout soit opérationnel pour le lendemain. Les balais sont brossés pour enlever les dernières feuilles qui restent accroché à la tête, les camions sont nettoyés et rangés dans le garage, tous alignés dans leurs places. C’est une routine pour mon père que de finir par le nettoyage du matériel. La maintenance qui nécessite une certaine rigueur doit aussi compter du matériel propre.  La journée se termine en début d’après-midi, ces fonctionnaires sont courageux, enchaîner les heures de travail tout ça dans la pénibilité et la difficulté, ce métier peut laisser des traces et des séquelles après carrière, c’est le cas de mon grand-père équipé aujourd’hui d’une prothèse à la hanche. Mon grand-père, Gilles Hadjres, s’occupait lui, du ramassage des ordures derrière le camion à benne ordure, c’est-à-dire l’homme debout sur la plateforme à l’arrière qui s’arrêtent devant chaque maison pour vider les poubelles, tout ça dans un temps qui est compté. Les mouvements répétitifs de ce métier l’ont conduit à une opération, une profession qui lui laisse des traces, d’autant plus qu’il était aussi présent sur les chantiers en tant que maçon. Il a connu durant toute sa vie la pénibilité au sein du monde du travail, une des choses les plus durs était aussi de surmonter certaines épreuves de la vie, lors d’un décès par exemple et liée famille et travail, comme pour mon père, ses journées étaient très difficiles, les odeurs, mais aussi le risque d’accident derrière le camion rendu le métier malaisé.

D’autres l’ont vécu dans une autre époque

Mon grand-père est issu d’une fratrie de 14 enfants, né d’un père algérien Lakhdar Hadjres arrivé en France en 1945, il a grandi au Camp Blanchard[12], baraquement militaire de la Première Guerre Mondiale près de Nantes qui a été aujourd’hui démantelé. Les conditions étaient insalubres et très précaires, un lieu de vie qui s’apparentait à un bidonville. Mon grand-père me dit souvent qu’il ne remerciera jamais assez, Jean-Marc Ayrault[13], maire de Saint-Herblain à l’époque et qui a mis en œuvre le démantèlement de ce camp.

Au sein de la profession, le manque de reconnaissance peut aussi exposer certaines personnes à la solitude voir pire, certains vont jusqu’à mettre fin à leur jour. Pour faire face à cette question les syndicats existent, dans un premier temps pour faire valoir leurs droits puis pour demander plus de reconnaissance. Gilles Hadjres était responsable syndical lorsqu’il exerçait, il défendait coûte que coûte les autres collègues pour se faire entendre et dire ô combien ils sont invisibilisé sur différents points (précarité économique, manque de ressources pour travailler…) par la société, mais aussi par les institutions composées des élites.

La demande de reconnaissance est une chose importante tout comme la lutte contre les discrimations et en particulier les discriminations raciales. D’origine étrangère, mon grand-père a subi des insultes racistes durant sa carrière non pas par ses collègues qui l’entouraient qui étaient eux aussi d’origine étrangère pour la plupart,  mais des insultes reçues par des passants lorsqu’il travaillait. « Sale Bougnoule[14]» ou « Sale Crouille[15]» n’est jamais simple à entendre, mais mon grand-père a su garder la tête froide et passer au-dessus de ces médiocrités, également soutenu par sa femme, ma grand-mère. Elle aussi issue d’un milieu populaire et d’une famille de la communauté des gens du voyage, elle sait le mal que peut faire ces injures, puisqu’elle aussi en a été victime car, elle ne savait ni lire ni écrire n’ayant pas eu la chance d’aller à l’école.

Une profession qui connaît les mêmes problématiques années après années

La profession qu’exerce mon père et mon grand-père fait face à de nombreux défis notamment sur le plan sociétal, il y a la nécessité de mettre en place une réelle prévention publique pour alerter sur les risques du métier. Les deux membres de ma famille m’ont témoigné sur ce sujet et ce n’est pas anodin quand on sait la santé mentale est une chose importante et à prendre en compte, car énormément d’employés se sentent abandonnés, cherche de la reconnaissance et doivent concilier leur vie de famille et leur vie professionnelle qui est souvent difficile.

Entre deux générations la profession n’a pas évolué, les fonctionnaires font face aux mêmes problématiques. Rien n’a changé dans le monde du travail. La reconnaissance existe voir n’existe pas. Les inégalités subsistent malgré la présence des syndicats, ces héros du quotidien qui nettoient nos villes sont pourtant indispensables et mérite plus de visibilité dans un travail difficile qui est parfois la seule profession exercée dans leur vie. Renaud Séchan[16]disait dans Son Bleu «De ses bras de travailleur. C’est toute sa vie qu’était sa sueur », ce passage de la chanson reflète à la perfection la vie vécue par mes proches.

Ivann Hadjres

Notes de bas de page : 

[1] Écrivain et penseur politique Français (1689-1755)

[2] Un des ouvrages d’étude de ce semestre

[3] Commune de 26 000 situé sur la métropole de Nantes

[4] Référence de café de la marque Nespresso

[5] Marché d’intérêt national

[6] Groupe de musique allemand faisant partie du courant de la New Wave

[7] Équipement de protection individuelle

[8] Deux quartiers de la ville de Nantes

[9] Caisse ajourée souvent utilisée pour le transport de fruits et légumes

[10] Larousse : Être abandonné, être étendu quelque part

[11] CTM : Centre Technique Municipal

[12] Ensemble de baraquement de la première guerre mondiale située sur le quartier de la Roche Maurice

[13] Maire de Saint-Herblain (1977-1989), Ancien Premier Ministre (2012-2014), Maire de Nantes (1989-2012)

[14] Terme injurieux et raciste visant les personnes d’origine du Maghreb

[15] Terme Injurieux et raciste visant les personnes d’origine du Maghreb

[16] Auteur-compositeur-interprète français

Bibliographie : 

Denis, J. et Pontille, D. (2022) . Introduction. Le soin des choses Politiques de la maintenance. ( p. 7 -29 ). La Découverte. https://shs.cairn.info/le-soin-des-choses–9782348064838-page-7?lang=fr.

 

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hadjresivann (4 décembre 2024). 5h00, l’embauche. Comment voit-on la ville ? Consulté le 19 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12tzx


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