Qui nettoie les espaces de la Ville ? Cette question m’a passionné et intrigué tout au long de ce semestre. Les réponses sont diverses. En effet, on peut penser aux employés de la municipalité dans laquelle on vit, tels que les éboueurs. Mais pour moi, cette question est subjective. En effet, celui ou celle qui nettoie la ville doit-il forcément travailler à l’extérieur, dans des espaces communs. Pour moi, le nettoyage de la ville repose également sur les professionnels du nettoyage que je vois dans mon quotidien. À leur échelle, ces acteurs entretiennent et nettoient la ville, c’est le cas des gardiens d’immeubles, ou encore des femmes et des hommes de ménages dans les écoles.
La question de l’entretien soulève diverses problématiques : le rapport à la propreté, mais aussi l’invisibilité de ces acteurs. Pour traiter ce sujet, j’ai mené une enquête auprès de femmes et d’hommes de ménages. J’ai souhaité me demander, en quoi les femmes et/ou les hommes de ménage sont-ils invisibles ? Et de quelle manière la société participe-t-elle ou non à cela ?
Dans le but de répondre à cette question, j’ai voulu démontrer que, au fil de mes entretiens, de nombreuses hypothèses m’ont particulièrement intéressé. J’ai trouvé cohérent de répondre à cette question en suivant le plan de ma pensée, progressivement.
Les différentes étapes et défis rencontrés dans la réalisation de mes enquêtes :
J’ai mené mon enquête dans une école, on l’appellera Jean Moulin, localisée dans la couronne de Paris. Malheureusement, étant donné que les femmes et hommes de ménages exercent un emploi au sein d’une entreprise privée, et pour ne pas causer de problèmes et respecter la volonté de la mairie, j’ai opté pour l’anonymisation de mon devoir. Néanmoins, je vais, par mon observation, mettre en lumière leur métier sans pour autant les mentionner. L’infrastructure est particulièrement surprenante : l’école regroupe la primaire et la maternelle dans un seul bâtiment, qui a une surface de 5 345 m².
J’ai rencontré énormément de difficultés, à ma surprise, à entrer en contact avec la mairie. Mais en persévérant, j’ai réussi à rencontrer le responsable du service : assistance, entretien et restauration scolaire. Cette rencontre était nécessaire pour pouvoir obtenir une autorisation, qui me permet d’être présente sur les lieux de l’école. Ma présence a soulevé des questions de sécurité, de responsabilité et d’assurance. J’ai ensuite très rapidement eu l’accord de la directrice. Ainsi, j’ai pu observer ces femmes et hommes de ménages dans l’exercice de leur profession et mener une réelle enquête physique, en m’inspirant de William F. White lors de son enquête, Street Corner Society : The Social Structure of an Italian Slum, publiée en 1943.
Lors de mon enquête, j’ai réussi à rencontrer quatre personnes. Mais malheureusement, dû à une barrière linguistique, je n’ai pu discuter qu’avec deux d’entre eux, une femme et un homme. Ces quatre individus sont tous issus de l’immigration et ne maîtrisent pas la langue française pour certains d’entre eux. J’ai trouvé particulièrement intéressant le fait que la langue ne soit pas une compétence requise. Cela ne va-t-il pas participer à leur invisibilisation ? À partir de mon observation, j’ai établi que la société, mais surtout l’entreprise qui les emploie, considèrent que maîtriser la langue française n’est pas une nécessité. Pourquoi devrait-il pouvoir parler Français ? On pourrait partir du principe que la non maîtrise de la langue pourrait entraîner des défis pour communiquer avec les différents acteurs présents dans l’école. De plus, pouvoir échanger une conversation est central dans notre vie professionnelle. Pour autant, je ne peux pas en être sûr, n’ayant pas pu échanger avec la société privée.
Des employées de société privées et leur matériel
Ces agents sont employés par des sociétés d’entretien privées, payées par la mairie. L’école compte 5 agents, dont 2 hommes et 3 femmes. Pour vous aider et vous apporter toutes les informations utiles à la compréhension de mon raisonnement, il est important que vous sachiez : que l’école compte 320 enfants, avec 16 classes en élémentaire et 7 classes en maternelle.
Ces femmes et hommes de ménage arrivent dans l’établissement vers 17h20-17h30, la première chose qu’ils font, c’est se diriger dans leurs locaux respectifs, où ils accèdent à leur casier, pour pouvoir se changer dans leur uniforme de travail. L’uniforme correspond à un veston qui comprend le logo de l’entreprise, avec des gants en latex. Ils travaillent en temps partiel, pendant l’année scolaire avec des horaires de 3 h du lundi au vendredi, sans compter le mercredi.
©Nouria DOUGANI, 22/11/2024, couronne de Paris
J’ai pu avoir une première introduction au métier, grâce à Jeanne, l’une des femmes de ménage de l’école. Elle a commencé par me présenter son « partenaire d’entretien » comme elle l’appelle, c’est-à-dire son chariot. Comme elle a pu me l’expliquer, ils contiennent tous les essentiels, les « Must » d’un agent d’entretien dans une école. C’est-à-dire : serpillière microfibre, des sacs fibres, plusieurs chiffons, deux pelles et balayettes et plusieurs sacs de poubelles. Ils sont également munis de plusieurs produits de nettoyage : pour les toilettes, pour les surfaces (tables), mais également pour les fenêtres. De même, les deux baquets à l’avant du chariot sont remplis d’eau pour pouvoir essorer les chiffons. Ce chariot est donc le compagnon de ces femmes et hommes de ménage, très pratique, mais pour autant assez lourd à pousser.
Une invisibilité choisie ?
L’une des premières questions qui m’a paru essentielle de poser est liée à la logistique. En effet, quand est-ce que ces femmes et hommes de ménages sont-ils censés nettoyer les locaux ? Et bien, en posant la question à Jeanne, elle m’a directement et très simplement dit qu’ils étaient dans l’interdiction, l’impossibilité de nettoyer les classes, le hall, le dortoire, lorsque ces derniers étaient occupés par des enfants, des professionnels et autres acteurs. La présence de ces différents acteurs pourrait empêcher ces femmes et hommes de ménage de faire leur travail, si l’on en croit Jeanne. On pourrait ainsi supposer que l’on a une invisibilité choisie dans le but de faciliter l’entretien dans les locaux.
« Ma journée type » en tant qu’hommes et de femmes de ménage
J’ai pu, avec mes entretiens, me rendre compte que la totalité de ces agents n’habitent pas dans la commune où ils exercent leur métier, mais à plus de 1h voire 2h20 de l’école. Cela est pour moi un facteur important à prendre en compte, en effet, cela impacte leur train de vie. Lorsque je leur ai demandé pourquoi ne pas avoir demandé à l’entreprise d’être muté plus près de chez eux ? Leur réponse a été la même : « La société ne travaille pas avec les écoles près de chez moi », et étant donné leur ancienneté dans la société, ils sont plus ou moins déjà installés. Ayant pris leur marque, cela n’est plus devenu une urgence immédiate.
En observant ces femmes et ces hommes, j’ai pu remarquer qu’ils avaient tous le même ordre pour réaliser leurs tâches. Mais qu’elles sont ces tâches ! Et bien, ils doivent dans un premier temps nettoyer les couloirs, c’est-à-dire passer le balais et la serpillère.
©Nouria DOUGANI, 22/11/2024, couronne de Paris
Ma première impression de la superficie des couloirs a été catégorique : « Ils sont super longs ». En effet, ils sont larges et très longs, entre 95 et 100 m de long. Ils doivent aussi passer le balais dans les escaliers. J’ai pu voir que l’on a une répartition entre ces professionnels, chacun doit s’occuper de son étage et de ses couloirs.
©Nouria DOUGANI, 22/11/2024, couronne de Paris
L’une des autres tâches qu’ils doivent réaliser, c’est l’entretien des salles de classe. Cela consiste à vider les poubelles, à nettoyer les vitres, les tables, les éviers, ainsi qu’à passer le balais et la serpillère. Chacun des employés doit pouvoir nettoyer ces 6 classes, ainsi que les sanitaires présents dans leur étage, environ 2, sans compter les salles de maîtres et la bibliothèque. Pour le côté maternel, ils doivent également prendre en compte dans leur tâche les dortoirs.
L’une des autres missions est celle de la gestion de l’approvisionnement des consommables tels que savons liquides, papier toilette et d’autres. Jeanne m’a informé que dès que les produits de nettoyage étaient épuisés, il en revenait à la société de réapprovisionner les écoles d’équipements.
En revanche, il faut noter que le mercredi est différent : ils peuvent commencer à 13h ou 14h, c’est la journée la plus chargée, car ils doivent regrouper les chaises et les tables pour pouvoir accéder entièrement à la salle. Ils appellent entre eux ce jour « le jour de l’eau », car comme on peut le deviner à son nom, c’est le grand nettoyage. Durant les vacances scolaires, leur contrat passe d’un temps partiel à un temps plein, car les journées et les tâches sont plus dures et sollicitent plus de personnels. C’est à ce moment-là qu’interviennent les machines : autolaveuse, monobrosse. L’un des hommes de ménage, nous l’appellerons Robin, m’a expliqué que pour manier ces machines, il est nécessaire d’avoir un permis et une formation validés. En effet, la société peut offrir des formations qui ont pour but d’enseigner différentes règles : les techniques de nettoyage et l’apprentissage du maniement d’outils comme mentionné ci-dessus.
Mais le point commun entre toutes ces tâches, et ce, peu importe si cela est réalisé pendant ou lors des vacances scolaires, est l’objectif de remettre en état le lieu et de garantir l’image d’un établissement propre. Et d’assurer la pérennité des matériaux lavés, mais aussi la sécurité des enfants et des professeurs.
L’importance des femmes et des hommes de ménage dans l’école
Mon observation m’a permis de me rendre compte de leur importance : s’ils ne sont pas là et que les pièces ne sont pas nettoyées et désinfectées, cela peut susciter un problème. J’ai pu observer à la fois l’avant et l’après de leur passage. Pour comprendre leurs actions, je vous propose une petite expérience : Imaginez-vous rentrer dans votre bureau ou dans votre salle de cours et que vous y trouviez des papiers au sol, des traces de chaussures, une poubelle remplie d’ordures et de nourriture qui dégage des odeurs. Resterez-vous dans cette pièce ? Pouvez-vous travailler dans ces conditions ? Non, je suppose, car en effet, vous, moi et les professionnels considérons que ce n’est pas hygiénique et bon pour notre santé. Depuis la crise du COVID, l’hygiène, la désinfection et le nettoyage sont devenues essentielles pour éviter la propagation du virus et garantissent la sécurité de l’ensemble des acteurs du milieu scolaire. Alors vous pouvez imaginer que si cela est dangereux pour les adultes, cela peut davantage être plus dangereux pour des enfants.
©Nouria DOUGANI, 22/11/2024, couronne de Paris
En effet, tous les espaces qui sont fréquentés doivent faire l’objet de mesures sanitaires et d’hygiène strictes. Toutes les surfaces font l’objet d’une attention différente, munies d’équipements spécifiques et d’un savoir-faire. Par exemple, les toilettes nécessitent un nettoyage quotidien, de même que tout ce qui est utilisé quotidiennement par les enfants et les professeurs.
Le but de ma démarche n’est pas de victimiser les femmes et hommes de ménage, mais de bien montrer leur rôle dans l’entretien des infrastructures, comme étant un métier qui peut être dur. Mais essentiel pour maintenir l’hygiène et avoir un espace sain pour les différentes personnes qui côtoient les lieux.
La critique des employées sur leurs conditions de travail
©Nouria DOUGANI, 22/11/2024, couronne de Paris
On a un métier qui peut être dur, dangereux pour la santé physique de ces professionnelles. Cela peut être lié à la répétition des gestes, à l’adaptation de postures contraignantes ou encore au déplacement d’objets lourds tels que table, chaise et équipements de travail entre les étages. Certaines fois, comme l’a signalé l’une des femmes de ménage qu’on appellera Inès, les conséquences de ces tâches peuvent être plus graves, telles que des entorses. On a différentes préventions qui peuvent être apportées ? Tel que par les entreprises par la sensibilisation, lors des formations sur les questions liées à la sécurité et au geste de premier secours. Néanmoins, cela est jugé par Jeanne, Inès et Jean comme « pas assez ». Le résultat de ces sensibilisations reste relativement limité sur le long terme pour eux.
Jean m’a partagé qu’il ne comprenait pas pourquoi l’école, qui a une si grande infrastructure, de plus de 5 245 m², ne compte que 5 hommes et femmes de ménages. Il critique leurs conditions de travail, liées aux nombreuses tâches qu’ils doivent réaliser, mais aussi le regard de la société. Cela peut être lié en partie aux différentes mutations, déplacements auxquels ils sont soumis, ainsi qu’à leur paye. Jean m’a partagé que son salaire ne lui suffisait pas, et que pour compenser, il travaille comme agent d’entretien du service Propreté de nuit dans des stations de métro. Les autres femmes de ménages n’ont pas réellement voulu partager leur point de vue sur leur condition. Seulement, Jeanne a apporté une nuance : pour elle, malgré les difficultés qu’elle peut rencontrer, cela est ce pourquoi elle a signé. De plus, elle m’a partagé qu’elle avait « pris l’habitude », travaillant dans des écoles depuis maintenant 3 ans.
Le terme de « femme de ménage » est-il toujours d’actualité ?
On a tendance à utiliser ce terme « femme de ménage » pour nommer la profession d’entretien de ménages, de nettoyage. Il fut un temps où le ménage sous Vichy était imposé dans l’enseignement des jeunes filles françaises, dans le but de devenir la parfaite ménagère. Quand j’ai demandé à Jean ce qu’il pense de sa position en tant qu’homme qui fait du ménage, il m’a simplement répondu que cette question n’avait plus lieu d’être posée. Pour lui voir ce métier et le genrer n’être plus d’actualité, il ajoute : « On est en 2024 ». Ce que je peux apporter à ces dits, c’est qu’il reste de réelles problématiques liées à la manière dont est perçu ce métier par la société et les entreprises, liées à la précarité du métier et aux conditions de travail. Qui peuvent s’expliquer par des mentalités qui ne changent pas, mais également par le caractère patriarcal de notre société. En effet, le métier de « femme de ménage » est utilisé pour définir la profession, mais cette connotation tente de s’effacer avec le temps. Avons-nous atteint pour autant un réel changement des mentalités ? Existe-t-il une réelle réponse à cette question, où sommes-nous toujours dans le processus pour faire changer les mentalités ?
Ces femmes et hommes de ménage exercent un métier qui repose sur différents points, avec des calendriers qui peuvent varier. D’une part, ils peuvent être confrontés à des défis et des jugements sociaux pré-inscrits dans la tradition patriarcale de notre société. J’ai souhaité également souligner la relation entre l’invisibilité et le métier. D’autre part, les entreprises peuvent également y contribuer en ne considérant pas la langue française comme une compétence essentielle pour exercer ce métier. Pour autant, on peut penser que le choix de rendre invisible ou non ce métier et ces personnes peut être lié à une question de logistique pour garantir la propreté et l’hygiène des locaux.
Nouria DOUGANI
Bibliographie :
Ethnographie :
- William F. White, Street Corner Society : The Social Structure of an Italian Slum, University of Chicago Press, 1943
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
nouriadougani (4 décembre 2024). Un métier dans l’ombre ? Les femmes et les hommes de ménage dans les écoles. Comment voit-on la ville ? Consulté le 19 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12u03