Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Entre soin et effondrement : la maintenance des quartiers historiques de Marseille

Le quartier du Panier à Marseille, l’un des plus anciens de la ville, incarne à la fois la richesse historique et les défis contemporains auxquels sont confrontées de nombreuses villes européennes. Derrière son image pittoresque de petites ruelles, de façades colorées et de vie communautaire, la réalité s’avère plus complexe, faite d’équilibres précaires et de tensions entre préservation, dégradation et gestion de l’espace urbain.La maintenance de ces vieux immeubles, souvent réalisés dans des matériaux fragiles et soumis à l’usure du temps, représente un enjeu crucial pour la survie du quartier. Mais cette démarche, qui consiste à entretenir et réparer, montre parfois ses limites, comme en témoigne l’effondrement des immeubles rue d’Aubagne dans le quartier voisin des Noailles le 5 novembre 2018. Cette catastrophe soulève une question fondamentale : jusqu’où peut-on maintenir et préserver, et quand la reconstruction devient-elle inévitable ?

La maintenance : un travail de l’ombre pour préserver le patrimoine

La maintenance est souvent invisible et discrète, mais essentielle à la survie des bâtiments et des infrastructures. Dans les quartiers anciens comme le Panier, où la fragilité des édifices historiques est palpable, le soin apporté à ces structures va bien au-delà de l’aspect technique : il est porteur d’une dimension culturelle. Ces immeubles, parfois centenaires, racontent l’histoire du quartier, mais leur survie dépend des soins réguliers apportés par les habitants, les artisans et les autorités municipales.

Dans ces ruelles étroites, les petits travaux de réparation – qu’il s’agisse de rénover une façade ou de colmater une fuite – participent à la préservation de l’âme du quartier. Ils illustrent ce lien intime entre l’habitat et ses occupants. Cependant, cette maintenance quotidienne peut se heurter à des limites structurelles. Lorsque les ressources ou la coordination manquent, le soin devient insuffisant pour contrer les effets du temps et de l’usure.

Le Panier, comme de nombreux quartiers historiques, est soumis à un équilibre délicat entre la préservation de son caractère patrimonial et les exigences modernes de confort et de sécurité. Depuis 2013, un plan de rénovation ambitieux, piloté par CDC Habitat, a été mis en place pour transformer durablement le quartier tout en respectant son identité. Ce programme, qui touche plusieurs immeubles anciens, incarne une forme de soin « institutionnalisé » : il s’agit non seulement de réparer et rénover, mais aussi de moderniser tout en respectant l’héritage du lieu.

Le plan de CDC Habitat a permis de revitaliser certains bâtiments en améliorant les conditions de vie des habitants, tout en maintenant l’authenticité architecturale du Panier. Cependant, cette rénovation massive, parfois réalisée au détriment des éléments anciens, soulève des questions. Comment concilier la conservation du patrimoine et l’adaptation aux normes actuelles de sécurité ?

Rue d’Aubagne : quand la maintenance devient insuffisante

Si le Panier illustre les débats autour de la préservation par la maintenance, l’effondrement tragique de la rue d’Aubagne en 2018 offre un contre-exemple douloureux. Le 5 novembre 2018, deux immeubles vétustes s’effondrent, entraînant la mort de huit personnes. Ce drame, qui a profondément marqué Marseille, a mis en lumière les limites de la maintenance dans des contextes urbains où les infrastructures sont profondément dégradées.

Pour des immeubles comme ceux de la rue d’Aubagne, bâtis au cours du XVIII ème siècle sans normes de sécurité spécifiques et avec des matériaux naturels et locaux, la maintenance peut s’avérer plus complexe que celle appliquée aux immeubles modernes, construits selon des normes de sécurité. La législation concernant la solidité et la sécurité des bâtiments en France a connu un développement lent. En 1850, des règles d’hygiène sont imposées, mais le Second Empire n’a pas encore imposé de normes strictes de construction. Ce n’est qu’après la Première Guerre Mondiale, alors que des villes entières doivent être reconstruites, qu’un premier décret-loi introduit partiellement la notion de sécurité publique dans les règles de construction. La véritable avancée arrive en 1935, avec la « Loi Loucheur », qui vise a améliorer la qualité des constructions et à lutter contre les logements insalubres. Néanmoins, il faudra attendre le décret du 14 juin 1938 pour que des règles de construction spécifiques à la solidité des immeubles soient enfin imposées. Lorsqu’on fait face à des bâtiments vieux de 200 ans, l’intervention par la maintenance est donc fortement limitée. Ces évènements soulèvent alors une question cruciale : jusqu’où peut-on maintenir les immeubles, et plus généralement les choses, sans en altérer la nature ? Plutôt que de laisser ces bâtiments se heurter aux ravages du temps, n’aurait-il pas mieux valu les détruire pour assurer la sécurité de tous ? 

Dans des quartiers où le patrimoine est une richesse à préserver, la tension entre l’envie de maintenir l’existant et la nécessité de garantir la sécurité des habitants est de plus en plus palpable.

Maintenance et écologie : entre continuité et rupture

La question de l’écologie s’invite également dans les réflexions sur la maintenance des bâtiments anciens. D’un côté, la maintenance prolonge la durée de vie des édifices, réduisant ainsi la consommation de nouvelles ressources et limitant la production de déchets. Réparer plutôt que reconstruire semble donc, en théorie, une démarche durable et respectueuse de l’environnement. Cependant, cette vision entre parfois en contradiction avec les exigences écologiques contemporaines, par exemple dans des villes comme Marseille, certains immeubles du Panier nécessitent des matériaux anciens ou des techniques de réparation qui ne correspondent plus aux standards environnementaux actuels. La réhabilitation écologique peut exiger des interventions lourdes, voire destructrices, pour remplacer des infrastructures obsolètes non conformes aux nouvelles normes énergétiques et d’isolation.

La prise en compte de l’écologie dans la maintenance des bâtiments anciens s’est intensifiée au fil des décennies, notamment à partir des années 1970, où les premières normes d’isolation thermique ont vu le jour en réponse aux crises énergétiques. Depuis, les réglementations se sont durcies,  avec la Réglementation Thermique en 2012 et plus récemment la Réglementation Environnementale en 2020, qui impose des exigences strictes en matière de performance énergétique et de réduction des émissions de CO2. Ces normes modernes favorisent les matériaux à faible empreinte écologique et les infrastructures économes en énergie,  comme les isolants naturels et les systèmes de chauffage écologique. Cependant, l’adaptation des bâtiments historiques à ces nouvelles exigences peut se révéler difficile, voir destructrice :certains matériaux et techniques d’origine sont incompatibles avec les standards actuels, et l’ajout d’équipements modernes, comme des panneaux solaires ou des doubles vitrages, altère parfois l’apparence des édifices. Ce dilemme pose une question complexe :comment concilier la préservation du patrimoine architectural avec les impératifs écologiques modernes, notamment dans des villes historiques comme Marseille ?  

Ainsi, la tension entre la préservation du patrimoine historique et les exigences écologiques modernes se fait de plus en plus sentir. Faut-il maintenir à tout prix des immeubles qui, malgré les travaux réguliers, restent énergivores et fragiles ? Ou doit-on accepter que certaines formes de maintenance soient vouées à l’échec face aux impératifs écologiques et de sécurité ?

Le quartier du Panier, comme bien d’autres centres anciens en France, se trouve au cœur de ces dilemmes contemporains. La maintenance, ce travail discret et quotidien, est indispensable pour la survie de ce patrimoine unique. Toutefois, les récents effondrements rappellent que la simple réparation ne suffit pas à compenser des décennies de négligence ou des fondations fragilisées. À un moment donné, l’équilibre entre soin et reconstruction doit être repensé en tenant compte des besoins de sécurité des habitants et des impératifs écologiques. La préservation de l’histoire passe parfois par des choix difficiles, mais essentiels pour garantir un avenir durable.

Juliette Essenoussi

Les mains qui tissent la durée

Ce corpus adopte une approche descriptive et réflexive pour explorer les thèmes de la maintenance urbaine et de l’abandon du patrimoine. L’observations détaillées de mon quotidien à Recife créait une atmosphère immersive, mêlant anecdotes personnelles et réflexions sociopolitiques. Le récit est une réflexion autour de la juxtaposition entre les efforts d’entretien dans un quartier moderne et la négligence du centre historique, illustrant ainsi les enjeux de société. La structure de cet article permet d’engager le lecteur dans une réflexion sur les choix de maintenance et leurs implications sociétales.

13h30 : Retour de plage à Pina -Recife-Brésil-été 2023

Je me dirige vers notre appartement qui se situe à une centaine de mètres de la plage. Avant de traverser le boulevard qui fait face à l’océan Atlantique, je regarde le sol qui est jonché de feuilles mortes de Castanhola. Ici, les arbres perdent leur feuillage plutôt à cause des fortes chaleurs que de la fraîcheur de l’automne. Je m’arrête au passage piéton et j’aperçois un nettoyeur qui balaie le trottoir d’en face, suivi de sa grande charrette qu’il a déposée derrière lui. Les voitures passent à toute vitesse, mais il ne semble pas se déconcentrer malgré la chaleur, la poussière et le trafic.

Après avoir traversé, je lève les yeux. Comme d’habitude, j’aperçois ce méli-mélo de plusieurs centaines de câbles électriques qui relient les fins poteaux en bois implantés tout le long de la rue. Certains d’entre eux sont tellement détendus qu’ils atteignent le sol. Cela ne m’étonne pas, car depuis plusieurs jours, le vent souffle très fort sur la côte et des tempêtes éclatent pendant les soirées. Il est même arrivé que le courant soit coupé durant toute une journée, plongeant Recife dans le bruit assourdissant des générateurs. Les habitants n’ont pas l’air d’être inquiets à la vue de tous ces fils électriques, alors je me suis mise à les ignorer à mon tour, me considérant maintenant comme une habituée du quartier. Cependant pendant mon séjour, je me suis surprise à regarder plusieurs fois par la fenêtre, espérant un jour voir un électricien réparer ou organiser ces cordages.

Je continue mon chemin et je finis par rentrer dans la résidence de l’immeuble de classe moyenne, après avoir signalé aux deux gardiens de jour ma présence, afin qu’ils puissent m’ouvrir le grand portail de fer ondulé. Chaque immeuble au Brésil a un dispositif de haute surveillance des allers et venues dans le bâtiment pour tenter d’assurer de la sécurité.

Arrivé dans l’entrée, je tombe sur les agents d’entretien. Certains sont sur le point de repeindre la zone de parking située au rez-de-chaussée. En effet, la peinture a besoin d’être souvent refaite en raison de la chaleur, du vent et de l’humidité. Après avoir passé plusieurs jours a soigneusement retiré les anciennes couches d’enduit craquelées et à reboucher toutes les fissures, les agents s’attellent désormais à la peinture. Et pour éviter toutes éclaboussures, les agents ont pris soins de protéger le sol avec une bâche en plastique. Le blanc écalant qui recouvre maintenant la paroi, donne instantanément une sensation de fraîcheur et de propreté, qui n’est pas désagréable étant donné le contexte climatique.

Au même moment, l’un des gardiens de l’immeuble vient interpeller ma mère qui était avec moi. L’homme tient un carnet à la main sur lequel on peut apercevoir un tableau comprenant des dates, des horaires et le nom des résidents. Il explique que comme plusieurs immeubles du quartier, des ouvriers vont remplacer les caissons de ventilation destinés à la climatisation. Ces caissons extérieurs sont visibles sur quasiment toutes les habitations du pays. Pour pouvoir les entretenir, les ouvriers ont une méthode bien précise.

Dans un premier temps, ils doivent escalader la façade de l’immeuble par un système de plateforme, de poulie et de cordage tiré à la main. Je suppose que cette méthode permet d’être moins coûteuse et plus pratique, car de cette façon, l’installation d’un grand échafaudage n’est pas nécessaire. Après être suspendu dans le vide au niveau de la boite d’aération, deux agents doivent à la force de leurs bras la décrocher et la porter, laissant un grand trou dans la façade avant de la remplacer.  Comme pour la peinture, cette rénovation est nécessaire en raison des problèmes d’infiltration d’eau et de la rouille des matériaux. Dans un deuxième temps, les ouvriers doivent intervenir depuis l’intérieur des appartements afin de souder la boite. Il est donc nécessaire de mobiliser pendant une période l’ensemble du personnel et des résidents de l’immeuble, de sorte à optimiser la climatisation de tous les appartements.

Lorsque ma mère finit par donner son accord et ses disponibilités au concierge, nous pénétrons dans le hall d’entrée. Étant donné que nous résidons au 12e étage, il est nécessaire d’emprunter l’un des quatre ascenseurs disponibles. Au Brésil, un ascenseur est toujours réservé au personnel, ainsi les résidents ne sont jamais susceptibles de croiser un agent d’entretien, un déménagement ou des personnes rentrant de la plage au maillot de bain. Pendant mon séjour, je me demandais si emprunter l’ascenseur de service était un acte inapproprié et incorrect. Alors, j’ai pu assister à une scène qui a répondu à mon questionnement.

Un jour, lorsque j’attendais dans le hall avec un habitant, l’ascenseur réservé au service est arrivé en premier. Alors, pleine d’enthousiasme, j’observais si l’homme allait l’emprunter étant donné qu’il n’y avait personne aux alentours et que les autres n’étaient pas encore au rez-de-chaussée. Mais à ma grande déception, il n’a même pas songé à céder à la tentation et a préféré attendre “le classique”.

Ce jour-là, j’ai déduit qu’il n’est pas convenable d’emprunter cet ascenseur et qu’il est préférable de l’ignorer. Créant de mon point de vue, un mur entre les employés de l’immeuble et les résidents.

Quand la maintenance révèle les choix d’une société

Cette anecdote a été réellement vécue lors de mon été au Brésil. Cet été 2023, j’ai pu observer la ville avec un regard d’adulte, remarquant des éléments que je n’avais pas soulevés pendant mon enfance.  En écrivant ces lignes, je me suis rendu compte, presque sans m’en apercevoir, que l’entretien et la maintenance m’entouraient. Pendant un mois, en arpentant le même quartier, les mêmes rues, j’ai réalisé que cette maintenance, nécessite des interventions régulières et ne s’achève jamais.

Dans le quartier moderne de classe moyenne en front de mer, ce soin constant contraste fortement avec le quartier historique de Recife, où de nombreux bâtiments colorés tombent en ruine. Les façades s’effritent et les structures, autrefois élégantes, menacent de s’effondrer. Le centre, pourtant riche en histoire et en charme, devient de plus en plus inhabitable. Aucun acheteur ne souhaite se lancer dans la rénovation coûteuse des bâtiments, souvent classés ou aux normes strictes de conservation, préférant investir dans de nouveaux projets plus rentables.

Les nouveaux immeubles d’une vingtaine d’étages aux systèmes électriques et de climatisation modernes semblent à des années-lumière des bâtiments historiques, qui se dégradent sans entretien. Ce centre historique se transforme en lieu de passage pour les touristes, avec ses musées, boutiques de souvenirs et bars, perdant peu à peu son rôle de véritable espace de vie.

En observant les efforts continus de maintenance dans ce quartier “moderne”, je n’ai pu m’empêcher de me demander si ces mêmes soins pourraient un jour être apportés au centre historique. Cependant, comment espérer revitaliser un quartier en déclin, lorsque les nouvelles constructions, mieux adaptées aux besoins actuels, semblent attirer toute l’attention ? Mon séjour m’a montré à quel point l’entretien est essentiel, mais il m’a aussi laissé réfléchir à l’avenir de ces lieux chargés d’histoire, qui risquent de s’effacer sans l’intervention de ceux qui y vivent et y travaillent.

Dans mon récit, l’observation attentive des travaux de maintenance dans un quartier moderne de Recife résonne profondément avec les réflexions développées par Denis J. et  Pontille D. dans Le soin des choses : Politiques de la maintenance 2022. Les auteurs soulignent que la maintenance n’est pas seulement une opération technique, mais un acte de soin qui révèle la manière dont les sociétés prennent en charge la continuité et la durabilité des infrastructures.

Cependant, ce soin est souvent invisibilisé et dévalorisé, tout comme dans mon récit où les travailleurs de l’entretien sont relégués en marge, comme avec l’exemple de l’ascenseur réservé au personnel.

Comme le souligne Baptiste Morizot dans son ouvrage Matières d’être vivant, 2020, la maintenance pourrait être repensée non seulement comme une obligation technique, mais comme un engagement éthique et politique envers les objets et les lieux. Dans cette optique, la dégradation du centre historique reflète une absence de soin collectif, marquée par des choix politiques et économiques qui privilégient la rentabilité des quartiers modernes au sein de la ville de Recife.

Ce contraste entre soin et abandon, modernité et patrimoine, met en lumière ce que Denis et Pontille décrivent comme une politique sélective de la maintenance. Certains lieux bénéficient d’une attention constante, tandis que d’autres sont laissés à l’abandon, révélant ainsi les priorités de la société contemporaine qui prône  la modernité et créant parallèlement des situations de contradictions et irrationnalités.

                                                                                                                Julie Eudes

La maintenance au coeur de notre quotidien : redonner du sens à l’ordinaire

La maintenance au cœur de notre quotidien : redonner du sens à l’ordinaire

En septembre 2024, j’ai lu l’introduction du livre Le soin des choses écrit par Jérôme Denis et David Pontille et publié en 2022. Ces auteurs marquent l’importance de la maintenance dans notre quotidien, en mettant en lumière son rôle essentiel pour faire durer les objets et infrastructures face à l’usure et à l’obsolescence.

La maintenance peut être définie comme l’ensemble des actions qui visent à maintenir ou rétablir un équipement, un service ou un système dans son état optimal de fonctionnement. Il peut s’agir d’un bâtiment, d’une voiture, d’une machine ou même d’un service administratif.

Je vais raconter une histoire qui m’est arrivé cette année, qui peut sembler banale mais qui met en lumière les acteurs invisibles et les interactions entre humains et objets. Enfin, je finirais par aborder les enjeux éthiques de la maintenance en se demandant s’il est préférable de prôner la durabilité plutôt que de renouveler les choses.

Quand une simple panne fait ressortir l’essentiel des choses

Au premier abord, je me suis demandé ou voulaient en venir les auteurs de ce livre, si l’existence d’un ouvrage lié à ces sujets était indispensable ou ce qu’ils pourraient bien apporter en plusieurs centaines de pages. Puis j’ai compris qu’il s’agit de sujets qui nous touchent individuellement et qui concernent tout le monde. Prendre soin des choses est une tâche essentielle pour que tout continue de fonctionner correctement. On ne remarque pas forcément les personnes qui travaillent pour cette maintenance mais on en comprend leur importance lorsqu’un problème survient…

Il y a quelques semaines, je suis allé à la mairie de mon arrondissement pour refaire ma carte d’identité. Tout se passait bien au début : la personne en charge a pris mon dossier, nous avons passé près d’une heure à remplir les informations et à vérifier les documents nécessaires. Tout semblait en ordre. Mais au moment final, lorsque la dame a voulu valider l’ensemble des informations, l’ordinateur a instantanément planté. L’écran s’est éteint. En une seconde, tout ce temps passé à entrer progressivement et minutieusement les données a été réduit à néant. L’ordinateur était donc hors service, et nous avons dû tout recommencer à zéro sur un autre ordinateur.

Cette histoire permet d’illustrer parfaitement les concepts théoriques comme celui de Heidegger évoqué dans l’introduction de l’ouvrage. Selon Heidegger, lorsqu’un outil fonctionne parfaitement, il disparaît de notre conscience. Tant que l’ordinateur fonctionnait bien, il était invisible aux yeux de l’employée. Il se fondait dans le flux de son travail quotidien, sans spécialement attirer son attention. Mais dès qu’il est tombé en panne, il a alors pris toute la place : il est devenu l’objet central, réclamant réparation et en interrompant l’activité.

C’est à ce moment que nous réfléchissons à son rôle en tant qu’objet au sein de notre environnement. Heiddeger pointe alors ce moment de rupture où la “chose” redevient visible, en demandant notre attention et notre soin.

Finalement, même si cela peut sembler anecdotique, imaginez les conséquences si une telle panne survient dans un système critique, comme une infrastructure de transport, ou dans un hôpital. On parle de maintenance corrective pour désigner une intervention, une réparation. Dans ce cas, on attend que quelque chose casse pour intervenir. C’est une approche assez fréquente, mais elle peut entraîner des complications, comme ce fut le cas pour moi à la mairie et cela peut être bien plus grave dans d’autres domaines.

Dans un monde idéal, la maintenance préventive, qui consiste à surveiller les choses et à s’assurer qu’elles fonctionnent bien avant même qu’un problème ne survienne, permettrait de gagner du temps, surtout dans des services publics comme ceux de la mairie où un grand nombre de citoyens vient chaque jour pour des démarches administratives.

Ce que cette panne nous apprend sur les acteurs de la maintenance et leurs interactions

Une histoire aussi simple que cette panne à la mairie, que j’avais presque oubliée, prend soudain tout son sens dans le contexte de cette étude. Celle-ci amène alors à penser une question importante : celle des acteurs invisibles de la maintenance. Ce sont souvent des ouvriers, des techniciens, des agents de propreté, des réparateurs qui assurent le bon fonctionnement des objets autour de nous. Pourtant, leur travail est souvent méconnu en vue du contexte qui les invisibilise. Par exemple, à la mairie, la dame qui s’occupait de mon dossier semblait perdue face au problème, ne connaissant surement pas la personne qui s’occupe de la maintenance ou alors celle-ci devait être absente.

Rendre visible la maintenance permet alors de comprendre en profondeur la manière dont nous vivons ensemble.

De plus, la maintenance implique une interaction entre les personnes et les choses. Ce n’est plus ici seulement un acte technique, mais un élément d’un processus relationnel et profond. Ces individus qui s’occupent de la maintenance ne sont pas simplement des techniciens ou des réparateurs, des agents de nettoyage, mais des humains qui permettent de garder telles qu’elles sont les choses qui nous entourent, qui elles aussi, ont une forme de vie dans la mesure où elles s’usent, se dégradent et nécessitent un soin constant.

Changer l’ordinateur de la mairie ou le réparer ? Les enjeux éthiques de la maintenance

L’exemple de l’ordinateur défaillant à la mairie pose une question emblématique : faut-il remplacer un outil dès qu’il cesse de fonctionner ou tenter de le réparer ? Au-delà d’une simple question technique, ce choix a des implications éthiques et sociales importantes.

Il y a une dimension politique et sociale derrière ces actes de maintenance. Cet acte est en quelque sorte une forme de résistance aux logiques de l’obsolescence programmée, et une façon de prôner la durabilité et la résilience dans un monde dominé par la consommation et la surconsommation. C’est donc un modèle qui nous amène à repenser notre rapport aux objets du quotidien et à y ajouter une certaine éthique.

Finalement, cette réflexion autour de l’introduction de l’ouvrage de Jérôme Denis et David Pontille et l’histoire qui m’est arrivé à la mairie m’a permis de réaliser à quel point la maintenance est importante dans tous les aspects de notre vie. Pourtant, elle est souvent invisible, tout comme les personnes qui assurent cette mission essentielle. Que ce soit dans une mairie, comme dans mon exemple, ou dans d’autres systèmes, sans cette attention aux détails et aux objets, notre quotidien serait bien plus chaotique et imprévisible.

Julien Hallioua

 

L’invisible, est-il réel ? Les acteurs de la maintenance et de la réparation dans la société

L’une des premières impressions que j’ai eues en lisant l’article Maintenance & Repair in Science and Technology Studies (2016), de Jérôme Denis, Alessandro Mongili et David Pontille, est que la question de l’entretien et de la réparation est nettement plus profonde et complexe. Cet article nous montre de quelle manière le champ d’étude de la maintenance et de la réparation aborde et reconsidère les opérations invisibles du quotidien tout en poursuivant la discussion en parlant de l’innovation, de la matérialité, et des processus de commande. Pour moi il existe une réelle problématique sociale, qui m’a poussé à discuter la place des acteurs de la maintenance et de la réparation et la manière dont ils sont perçus. La société les rendent-elles invisibles ? Pour quelle raison à travers le métier de la maintenance trouvons-nous une hiérarchie ? 

La maintenance et la réparation, deux définitions

C’est à partir de deux définitions que j’ai dans un premier temps abordé cet article, car, en effet, pour moi, il est intéressant de partir de la définition la plus simple du dictionnaire et de voir de quelle manière, ils peuvent être déconstruits ou renforcés. Ainsi, la maintenance, d’après le dictionnaire Larousse, est un ensemble d’opérations permettant de maintenir ou de rétablir un matériel ou autre dans un état donné ou de lui restituer des caractéristiques de fonctionnement spécifiques. La réparation, d’après le Dictionnaire Larousse, est une action qui sert à rétablir quelque chose d’endommageé. Ces définitions me permettent donc de comprendre que tous deux ont des rôles et des caractéristiques qui peuvent se ressembler, mais qui pour autant sont singuliers. Pour moi, les définitions apportées par le dictionnaire ne représentent pas totalement l’importance de ces derniers et leur rapport avec la société. Mais en quoi la société participe à cette invisibilisation. Un réparateur est essentiel, on s’en rend compte dès lors que l’on a un appareil cassé, il ou elle devient la première personne à laquelle on pense. Le réparateur ou la réparatrice permet notamment d’éviter de tomber dans une matérialisation, et permet de plus faire attention à l’objet, de le considérer comme un « artefact », ce qui pour moi est un enjeux actuel. Je trouve que sur le long terme, cela encourage davantage à prendre soin de ces objets.

Maintenir un objet ou un lieu, un quotidien

Dans un premier temps, ce qui m’a totalement marquée dans l’article de Jérôme Denis, Alessandro Mongili et David Pontille (2016), c’est la volonté de montrer que l’entretien et la maintenance d’un objet ou d’un lieu sont des processus longs et réguliers. C’est-à-dire que ce dernier nécessite un engagement quotidien d’agents employés par des communes, des départements ou des entreprises. Dans un processus de négociations au sein de comité spécialisé chargé d’établir les besoins matériels ou encore physiques. L’un des premiers exemples qui m’est venu en tête lorsque l’on parle d’entretien ou encore de maintenance, c’est la préservation des lieux culturels par des gardiens, agents. En effet, la recherche de pratiques d’entretien est constamment discutée au sein des instances les plus hautes. Le deuxième exemple qui m’est venu en tête était le rôle du gardien d’immeubles qui entretient le bâtiment et qui veille à sa propreté. À partir de ce stade, je me suis arrêté pendant un moment, car, en effet, je trouve troublant de voir que l’exemple du gardien de bâtiments ne me soit venu que dans un second temps. En effet, habitant dans un immeuble, je le croise plus fréquemment que celui qui veille à préserver un lieu culturel. De même le statut du gardien du Louvre par exemple et celui du gardien d’immeuble ne sont pas perçus de la même manière. Ainsi, cela m’a poussé à me demander pourquoi ? Qu’est ce qui me pousse et nous pousse dans la société à les classer ? Avons-nous une hiérarchie au sein même de la maintenance ?

L’invisible dans la société

J’ai pu comprendre dans cet article que les acteurs concernés par la maintenance sont pour la plupart inconnus, voire même rendus invisibles. La question de l’invisibilité est pour moi centrale, c’est la chose principale que j’ai retenue, qui m’a marquée et que je souhaitais souligner. L’invisibilité ? je me suis demandé comment on pouvait utiliser ce nom, pour désigner ce qui fait une personne, car en effet, l’homme et la femme sont faits de chair, de sang, et sont tous deux dotés d’une faculté de raisonnement. Comment pouvait-il être considéré comme invisible tout en étant bien réel ? Et bien, cela est totalement possible, car, en effet, dans la société, il existe une hiérarchies, comme le démontre l’article de Jérôme Denis, Alessandro Mongili et David Pontille (2016).  

Une hiérarchisation dans la maintenance

En effet, ces acteurs de la maintenance sont parfois hiérarchisés entre eux. L’un des exemples qui est pour moi pertinent est celui du gardien du Louvre qui entretient et préserve le lieu. Dans un premier temps, de part le lieu dans lequel il exerce son métier, sa présence reste assez marquée, le Louvre reste l’un des musées les plus visités au monde. Néanmoins, la visibilité du Louvre est-elle suffisante pour rendre visible ceux qui l’entretiennent ? En effet on a un effort, un intérêt qui est porté à la personnalité du gardien du Louvre, comme on peut voir avec la bande dessinée1. Les Gardiens du Louvre de Jiro Taniguchi co-édité par Louvre éditions et Futuropolis paru en 2014, on a ici une visibilité qui est donnée au gardien du Louvre à une échelle internationale. Face à cela, le gardien d’immeuble semble lui réaliser une tâche totalement différente, mais l’est-elle réellement ? Pourquoi avons-nous une hiérarchisation au sein de la maintenance ? Le rôle du gardien de bâtiment est d’entretenir le lieux, et de veiller à la pérennisation de l’infrastructure. Le gardien du Louvre à également pour but de veiller à son entretien. Pour autant on aurait tendance à valoriser l’un par rapport à l’autre, pour des raisons de renommée. 

On parle de « dirty work » , ou de « sale boulot », expressions utilisées pour désigner un accomplissement, une tâche, ou encore une mission que réalise une personne. Cette tâche est pour le moins repoussante, délicate, pénible, ingrate ou encore humiliante. Ces termes ont tous une connotation négative et sont tous vus comme inférieurs, mais par qui ? La société établit des codes et des normes, créant la dévalorisation de ce qu’ils font, en parlant de travail de seconde zone. On a également des acteurs de la réparation qui produisent en permanence une grande quantité d’innovation, mais qui, malheureusement, ne sont pas reconnus comme tels. On a donc des tâches qui sont effectuées dans des lieux de travail qui sont à peine considérés comme honorables ou respectueux. J’ai trouvé qu’il était compliqué de réellement trouver la raison du pourquoi ? Je peux supposer que cela est lié au pouvoir, aux codes et mœurs déjà pré-établis dans la société, ou encore liée à l’argent, ou à quelque chose d’inconscient. Rendons-nous invisibles ces acteurs de la maintenance et leur pratique inconsciemment? Ou n’avons-nous en tant qu’un individu et société, pas fait assez d’efforts pour visibiliser ces métiers? Je n’ai aucune certitude. 

L’invisible nécessaire à nos vies

On comprend rapidement que ces « invisibles » sont nous sont nécessaires. On a donc des emplois qui sont essentiels à la vie quotidienne, mais qui pour autant, de par leur pénibilité ou la répétition des gestes, sont considérés comme inférieurs, de seconde zone. De nombreuses choses sont impossibles sans eux, en effet tout parisien ne pourrait pas vivre à Paris sans les éboueurs, comme on l’a vu durant la grève de 2023. Ou encore le service de l’éducation nationale sans ses sociétés qui emploient des femmes et des hommes de ménages pour nettoyer les salles de classes. 

Pour vous donner un autre exemple, ma mère, qui est une AESH, c’est-à-dire une accompagnante d’élèves en situation de handicap, est également victime de cette invisibilité par la société. Elle exerce un métier dur et honorable qui pour autant n’a pas la reconnaissance qu’ils méritent et reste inconnu. Malgré les nombreux efforts de certains députés pour revaloriser ce métier. La nécessité de ce métier est évidente, mais pour autant, de par le manque de reconnaissance, peu de personnes se dirigent vers cette profession et peu s’intéressent à ce dernier, s’inscrivant dans une invisibilité. 

J’ai trouvé très pertinent le point de vue que les Jérôme Denis, Alessandro Mongili et David Pontille, ont prit dans leur article cela m’a permis de réellement remettre en question notre rapport au personnel d’entretien, notre rôle dans leur invisibilisation, mais également de quelle manière on pouvait avoir une hiérarchisation. Tous ces exemples peuvent nous pousser à revaloriser certains métiers et leur pratique. Pour autant on pourrait davantage approfondir cette question de l’invisibilité, avons nous dans certains cas une invisibilité voulu ou recherché?

Nouria DOUGANI


1 Les Gardiens du Louvre, Jiro Taniguchi, co-édité Louvre éditions et Futuropolis, 2014. 

BIBLIOGRAPHIE :
Denis, Jérôme, et al. “Maintenance & Repair in Science and Technology Studies”. Tecnoscienza – Italian Journal of Science & Technology Studies, vol. 6, no. 2, Jan. 2015, pp. 5-15, doi:10.6092/issn.2038-3460/17251.

Et s’ils devenaient visibles ?

Notre vie en société est passionnante, certes complexe et parfois difficile. Mais nos nombreuses interactions au travail, en famille, avec nos amis montre à quel point celle-ci est importante et à un besoin crucial d’être préservée. Lors de la pause quotidienne à la machine à café avec la collègue un peu trop bavarde, il nous arrive assez souvent de saluer le réparateur de la machine qui vient faire la vidange et réapprovisionner les stocks en grain et friandises chocolatées ou encore l’agent d’entretien qui nettoie la moquette des bureaux. Le nettoyage et la vidange, choses banales, sont essentielles pour que chaque salarié de l’entreprise profite et que la pause professionnelle soit maintenue.

La maintenance comme savoir-faire au quotidien

La maintenance, sujet vaste, mais qui a la même définition que si l’on est réparateur dans une société d’électroménager ou bien agent municipal. Le travail effectué à la main comme le veut son origine latine « manu ». Des mains qui bossent et qui sont souvent maîtres de leur sujet, « placé entre les mains de ces experts » disaient Jérôme Denis et David Pontille dans le « Soin des choses » (2022, P.9) en faisant référence à la maintenance d’un monument. C’est le même circuit pour des agents municipaux qui maintiennent nos rues en toute propreté, eux-mêmes connaissent leur métier et savent faire marcher les machines et le bon produit à utiliser.

« Les balayeurs sont pleins de balais {…} Il est cinq heures, Paris s’éveille », c’étaient les mots de Jacques Dutronc en 1968, aujourd’hui rien n’a changé, d’honnêtes gens se lèvent aux aurores pour nettoyer, balayer et brosser nos rues en y jouant une prestation remarquable digne d’un concerto du plus grand opéra classique digne de Wolfgang Amadeus Mozart ou Ludwig Van Beethoven. D’un côté la valse des balayeuses, toutes coordonnées rasant les trottoirs, dans une rue adjacente se tient en ordre de marche les nettoyeurs haute pression, plus loin à travers les arbustes encerclant le square se trouve une autre équipe astiquant le mobilier urbain et les aires de jeux. Nous avons tous en tête l’image de l’homme en costume accompagné de sa cravate qui part en taxi payé par le grand groupe pour lequel il travaille. Une image digne d’un film sur la finance, mais avons-nous l’image de l’agent municipal qui se lève à 4h du matin et qui prend sa voiture pour rejoindre le centre technique municipal et embaucher à 5h. Pour beaucoup de gens, cette image, n’est pas réelle, mais pour d’autres elle est quotidienne.

N’êtes-vous jamais poser la question de qui nettoie nos avenues, boulevards ou autres artères au sein de notre capitale, tel que le boulevard Haussmann, la rue de Rivoli ou encore la rue Vaugirard…

Un métier de l’ombre

Certains diront qu’ils sont trop invisibles, qu’ils se cachent par peur de moqueries ou d’insultes de la part de personnes manquant cruellement d’intelligence, qui souvent reçoivent des remarques désobligeantes sur leur niveau d’étude ou leurs capacités intellectuelles. Ou parfois par honte de montrer leur métier qui semble ingrat aux yeux de la société. Le mot invisibilité ne doit pas servir d’excuse de lâcheté, il suffit en toute simplicité d’ouvrir les yeux, de s’intéresser, de se questionner et de voir ô combien, ces personnes sont importantes. Ce que mentionnait à juste titre David Pontille et Jérôme Denis dans leur ouvrage  le «Soin des choses»  (2022, P.8) : « La présence de ces agents auxquels personne ne semble prêter attention, me rassure, sans eux qui sait combien de déraillements auraient eu lieu ? »

Rendre visible l’invisible

Mais si ces professions n’existeraient pas, qui seraient en train de maintenir la propreté de nos villes, pour que nous citoyens, puissions circuler sans le moins encombre physique ou hygiénique. Pour que les grands-parents puissent emmener leurs petits-enfants jouer dans un parc désinfecté et prendre un goûter à la sortie de l’école, ou bien de pouvoir marcher sur un trottoir propre et non tapisser de feuilles, pour que les personnes à mobilité réduite puissent se déplacer sans y affronter un parcours du combattant en effectuant des slaloms entre des amas de carton. S’il n’y avait pas un entretien en bonne et due forme du mobilier urbain et des allées grâce à ces gens, les dégradations, usures ou moisissures apparaissaient. Les auteurs de « Le soin des choses » y ajoutent même, « doivent être entretenus sous peine de disparaître » (P.9) ou encore « la maintenance, l’art de faire durer les choses » (P.11).

J’entends quotidiennement mon père se lever à 4h30 du matin, enfiler son pantalon, boire son café et démarrer la voiture pour embaucher à 5h. Mon grand-père aujourd’hui à la retraite, me raconte sa vie derrière le camion benne, mais il me raconte aussi son mal de hanche causé par les mouvements répétitifs de son travail. En tant que fils et petit-fils de fonctionnaire ayant travaillé au sein d’un service nettoiement d’une collectivité territoriale. Je ne peux qu’être admiratif de ces personnes pleine de dignité et qui sont là au service de la société au quotidien en effectuant des tâches pénibles et qui ne sont jamais reconnu comme des héros. Il suffit de gagner une coupe du monde pour être grader de la Légion d’honneur, mais qu’en est-il du mérite dans notre vie en cité. Que faut-il gagner pour qu’un agent municipal du service du nettoiement soit reconnus à sa juste valeur et ne soit pas catégorisé comme un simple « fonctionnaire ». On utilise le terme « Gardien de la paix » pour saluer le travail de la police nationale, mais il serait bon d’utiliser le terme « Gardien de la propreté » pour les agents municipaux qui nettoient et ainsi saluer le dévouement de ces personnes. Toutefois, pour saluer leur dévouement, il faut rendre visible les invisibles.

Ivann HADJRES

Quand l’invisible devient visible

Dès que j’ai vu le titre Le soin des choses de Jérôme Denis et David Pontille (2022), j’ai su que ce livre allait me parler. En tant que personne minutieuse de nature, cette idée de soin, d’attention méticuleuse portée aux objets, m’a immédiatement interpellé. Le soin que l’on apporte aux choses, ce geste presque instinctif de vouloir maintenir l’ordre et la perfection, fait parti de mon quotidien. C’est une manière de me connecter à mon environnement et de trouver un équilibre dans les petits gestes répétitifs et précis que j’accomplis chaque jour. En lisant Le soin des choses, j’ai remarqué que l’idée principale de l’ouvrage est que les objets, n’importent lesquels, demandent une attention particulière, un soin constant pour perdurer dans le temps. 

Ce concept résonne également avec ma propre expérience en tant que passionnée de mangas. Pour moi, le soin que j’apporte à ma collection va bien au-delà du simple geste de la préserver : il s’agit d’une sorte de rituel, d’une manière de me connecter à cet univers qui me fascine. Chaque manga que je possède est une pièce unique de mon univers. Je prends un soin presque méticuleux à les classer par série, par auteur, parfois même par taille, afin de créer une harmonie visuelle sur mes étagères. Le moindre grain de poussière ou la plus petite imperfection me pousse à intervenir, à nettoyer, à ajuster. 

Lorsque Denis et Pontille parlent du soin des choses, ils soulignent que ce geste d’entretien est souvent invisible, bien qu’essentiel. Mes mangas ne sont pas simplement rangés sur une étagère, ils sont au cœur d’une relation continue. Je les entretient de sorte à ce qu’ils durent, je vérifie qu’aucune couverture n’est abimée, qu’un coin de page n’est plié, qu’ils soient rangés à un endroit où le soleil ne pourrait les atteindre car les pages pourraient jaunir. C’est dans cette sorte de rituel que je trouve une forme de calme et de contrôle. Je tiens également une collection en ligne, je range les mangas par ordre alphabétique et dans certaines catégorie précises de sorte à ce que je m’y retrouve bien.

Ce soin, que je leur apporte, s’étend également à mon blog. Gérer cet espace numérique, c’est également une forme de soin, une manière de cultiver cet univers de passions. Je veille à ce que mes articles soient bien présentés, que les images soient correctement alignées, que chaque mot soit à sa place. Là encore, il s’agit de maintenir cet espace vivant, de le nourrir et de le préserver.

À travers cette attention constante portée à mes mangas et à mon blog, je réalise que ce soin n’est pas seulement dirigé vers les objets eux-mêmes, mais qu’il parle aussi de moi, de mon besoin de perfection, de ma volonté de créer un environnement qui reflète mes goûts et mon identité. Le soin des choses, tel que le décrivent Denis et Pontille, devient alors une sorte de miroir : il me renvoie une image de ma propre relation avec le monde, faite d’attention, de précision, et d’un désir profond de maintenir l’ordre dans ce qui m’entoure. Par le biais de cette lecture j’ai pu me rendre compte de certaines choses auxquelles je ne portais pas forcement attention, j’ai pu valoriser certaines actions qui me paraissaient presque anodines. Cela s’est révélé être une introspection personnelle.  

Nawal Bellout


Bibliographie :
Jérôme Denis, David Pontille, “Le Soin des Choses”. Politiques de la maintenance. (2022)

Maintenir notre ville en vie

Les Jeux Olympiques de 2024 ont été un véritable succès. De nouvelles infrastructures et équipements ont transformé la ville, et Paris a brillé sous son meilleur jour. Le gouvernement français, la mairie de Paris, et les bénévoles ont été applaudis pour leurs efforts. Mais dans cette célébration, nous avons oublié de rendre hommage à ceux qui, dans l’ombre, ont permis à toutes ces infrastructures de fonctionner impeccablement. Les agents de maintenance, véritables garants du bon déroulement des jeux, méritent d’être mis à l’honneur, et c’est ce que je souhaite faire dans cet article.

J’ai choisi d’étudier l’introduction du livre des sociologues Jérôme Denis et David Pontille, intitulé Maintenance et attention à la fragilité. C’est une enquête qui met en lumière le secteur de la maintenance et qui suit plusieurs agents de maintenance dans leurs activités. Cette étude apporte également une réflexion sociologique à la maintenance car les auteurs ont choisi d’étudier les interactions entre les agents de maintenance et les objets qu’ils entretiennent.

J’ai trouvé cette analyse intéressante car on apprend plus de choses sur le secteur de la maintenance, on a des images et des exemples de situations précises que rencontrent des agents de maintenance.

Un secteur complexe

En lisant cette enquête, je me suis rendu compte que la maintenance était un secteur plus complexe qu’on ne l’imagine.

C’est un secteur qui nécessite de l’expertise, du sérieux et de la minutie car les agents de maintenance peuvent être amenés à s’occuper d’objets fragiles qui demandent une attention toute particulière et qui exposent à des situations risquées. Ils doivent veiller à maintenir les objets en bon état sans altérer leur nature. J’ai pu le constater en lisant l’une des situations dans lesquelles les agents de maintenance doivent retirer des graffitis. Ils doivent nettoyer les murs ou les grillages de magasins en faisant attention à ne pas les abîmer. Pour cela, ils doivent utiliser des produits spécifiques et des matériaux comme des grattoirs qui sont adaptés à la fragilité des murs. C’est un secteur qui nécessite de la concentration, il est important de toujours rester alerte afin de prévenir un accident.

On revient à l’exemple de Paris 2024. Durant ces jeux, nous avions toujours des équipes de maintenance en alerte pour prévenir les imprévus et ainsi assurer la sécurité des athlètes, du public et des Parisiens en général. 

Un secteur indispensable mais invisible

En m’intéressant davantage à cette profession, je réalise à quel point c’est un secteur indispensable dans notre quotidien.

Avant cela, je n’avais pas beaucoup de connaissances sur le secteur de la maintenance et je l’observais de loin, sans vraiment comprendre leur activité. En province, les agents de maintenance sont encore plus invisibles en raison du nombre moins élevé d’infrastructures à entretenir par rapport aux grandes villes comme Paris (qui peuvent être amenés à accueillir des grands évènements).

Pour revenir aux JO de Paris, les épreuves ont eu lieu en majorité dans des lieux déjà existants (le Stade de France pour l’athlétisme) ou des lieux inaccessibles au public qui ont été rénovés (le Grand Palais pour l’Escrime). Tout cela, nous le devons au personnel de maintenance.

J’ai pu réaliser, en lisant cette étude, que même si la maintenance est omniprésente, ces agents restent invisibles car leur travail se déroule souvent hors du regard du public. De plus, cette invisibilité est accentuée par le fait que les métiers de la maintenance, comme beaucoup de secteurs manuels, sont souvent marginalisés dans la vie quotidienne, en partie à cause de leur faible niveau de reconnaissance, tant au niveau des qualifications que de la rémunération.

Un secteur familier ?

Je pense que nous avons tous été confrontés un jour où l’autre au secteur de la maintenance de près ou de loin.  Ce rapport a surement rappelé des souvenirs et des anecdotes pour beaucoup d’entre nous.

Pour ma part, cette enquête a fait écho à plusieurs situations j’ai été confronté à ce secteur.

Je me souviens avoir vu il y a plusieurs années, un reportage sur un parc d’attraction et on y suivait des agents de maintenance. Ils revenaient toutes les nuits, apres la fermeture du parc, pour examiner les attractions. Ils devaient vérifier qu’elles fonctionnaient correctement et les réparer si nécessaire. Ce reportage m’a également permis de réaliser à quel point le travail de maintenance, bien que discret, est essentiel pour notre sécurité, une idée également présente dans l’article.

J’ai également des situations plus récentes en tête. J’ai grandi dans une petite ville de province et j’ai croisé pour la première fois des agents de maintenance en mission, en arrivant à Paris. Il m’arrive dorénavant d’en croiser en ville à la sortie du métro en train de réparer des escalators ou des ascenseurs. 

Il y a également du personnel de maintenance dans ma résidence étudiante. Nous avons des personnes qui sont chargés de surveiller notre ascenseur, les machines à laver de notre laverie et d’assurer leur bon fonctionnement. Nous avons également un agent de maintenance à notre disposition si nous rencontrons des problèmes techniques dans notre studio.

Cette analyse avait pour objectif de nous exposer une dimension sociologique de la maintenance, mais je pense que cette étude nous pousse également à faire plus attention au monde qui nous entoure et à accorder une attention particulière aux petits détails qui peuvent paraître banals au premier abord. Cette enquête nous pousse aussi à réfléchir à la reconnaissance accordée aux agents de maintenance, et par extension, à tous les métiers essentiels mais souvent sous-estimés, tels que les agents d’entretien ou les aides-soignants.

Ian Muthoni


Bibliographie
Denis J., Pontille D. (2020), « Maintenance et attention à la fragilité », SociologieS [En ligne], Dossiers, mis en ligne le 20 mai 2020, consulté le 20 septembre 2022.

Maintenir la ville : entre fragilité et invisibilité

Quand on regarde et observe la ville, on pense que la ville est figée et durable dans le temps. Pourtant derrière cette stabilité, se cache un grand nombre d’actions et de gestes quotidiens qui permettent de maintenir la ville.

Quand j’ai commencé à lire l’article de Jérôme Denis et David Pontille, intitulé “Maintenance et attention à la fragilité” (2020)¹, j’ai été frappé par la manière dont ils décrivent très minutieusement le travail des agents de maintenance et de nettoyage urbain. Il y a une description détaillée des sensations sensorielles et visibles de la ville mais aussi du métier d’agent de maintenance. Cet article pousse aussi à réfléchir à des questions plus complexes comme le rôle que joue les manutentionnaires, le rôle des institutions, les enjeux qui peuvent en découler, la place de la liberté d’expression.

Pour explorer ces questions, nous examinerons tout d’abord le rôle crucial des agents de maintenance dans la préservation de la mémoire collective des espaces urbains. Ensuite, nous analyserons les interactions complexes entre la liberté d’expression, notamment à travers les graffitis, et la gestion des espaces publics. Enfin, nous aborderons notre responsabilité individuelle et collective face aux défis écologiques.

Les acteurs de l’urbain : l’art de la maintenance

Lorsqu’on se promène dans Paris, il est facile d’oublier que cette impression de propreté est le résultat d’un travail rendu invisible. Les manutentionnaires, souvent considérés comme des acteurs discrets, jouent un rôle essentiel dans le maintien du paysage urbain. Dans Paris, on compte environ 1000 agents de propreté qui travaillent quotidiennement pour nettoyer les espaces publics. Dès lors, leur travail va bien au-delà du simple nettoyage, ils permettent la préservation du patrimoine et à la sécurité de son existence décennies après décennies. 

Cette réflexion m’a amené à penser à un aspect souvent négligé : la mémoire. Chaque rue, chaque bâtiment et chaque infrastructure de la ville porte une mémoire collective. La fragilité de ces espaces n’est pas seulement matérielle, elle est aussi symbolique. Réparer un lampadaire ou un banc, c’est restaurer leur fonction, mais aussi leur place dans la ville. En effet, les activités de maintenance et d’entretien y sont nombreuses et révèlent même un aspect symbolique comme l’exemple du Père Lachaise dans l’article de Jérôme Denis et David Pontille. Par ailleurs, la mémoire urbaine s’exprime aussi à travers les graffitis, qui portent eux aussi une réelle valeur symbolique. C’est le cas de Paris, où un débat se pose entre la promotion du street art et la préservation des biens publics (voir photo ci-dessous). En préservant ce qui existe, la maintenance urbaine réduit déchets et empreinte carbone générée par la fabrication de nouveaux matériaux. Ainsi, l’art de la maintenance devient un art de la durabilité, où chaque geste protège l’environnement.

Source : Photo de Thomas Samson, prise à Paris en 2021

L’invisible au service de l’urbain :
entre liberté d’expression et gestion urbaine

Les agents de maintenance et de nettoyage urbain occupent une position unique entre la gestion des espaces publics et de la liberté d’expression. De plus, les agents de maintenance intègrent des pratiques écoresponsables dans leurs interventions, comme l’utilisation de produits respectueux de l’environnement et le recyclage des matériaux usés. Ces gestes participent à la transformation de la ville vers une approche plus durable. Par ailleurs, leur travail, souvent perçu comme anodin, soulève des questions plus profondes concernant le droit des citoyens. Par exemple, un message militant féministe doit-il être interprété de la même manière par la loi qu’une insulte à travers un graffiti ? Qu’est ce qui peut être considéré ou non comme un acte de vandalisme ? Pourquoi est-il interdit de faire des graffitis en France ? Est-ce que cette expression artistique a un réel impact ?

On va prendre l’exemple de la Tunisie.  Suite à une révolution en 2011, les Tunisiens ont utilisé un moyen de s’exprimer politiquement avec les graffitis. Cela démontre que cet art peut avoir un impact majeur d’un point vue politique (voir photo ci-dessous).

Source :  Photo de Fethi Belaid, prise au centre de la ville de Sidi Bouzid (Tunisie) en 2011

Notre responsabilité face aux défis sociétaux de l’espace urbain

La ville que nous habitons est bien plus qu’un simple espace géographique, elle cristallise les interactions sociales, ainsi que nos choix et nos valeurs. En tant qu’habitants, nous avons une responsabilité collective et individuelle. Nous devons réfléchir à la manière dont nous engageons avec notre environnement. De plus, cette prise de conscience est d’autant plus pressante dans le contexte du dernier rapport du GIEC (GIEC, 2023)². Ce rapport du GIEC montre que l’humanité est à un point de non-retour au niveau écologique. Il faut alors agir maintenant et avoir un réel impact sur la population.

Pour illustrer cette responsabilité, prenons l’exemple de Copenhague, qui s’est engagée à devenir la première capitale carboneutre au monde d’ici 2025 (Garric, A., & Strek, K, 2024)³. La ville a mis en place un vaste plan de développement durable, intégrant des infrastructures vertes, des pistes cyclables et une forte promotion de l’énergie éolienne.  De plus, les agents de nettoyage jouent aussi un rôle crucial dans la réduction des déchets. Par exemple, à Berlin, le programme de nettoyage de la ville a permis de réduire le volume de déchets dans les espaces publics de 25% en trois ans (Delphine Nerbollier, 2018)⁴.  Par ailleurs, ces pratiques de maintenance favorisent un environnement plus sain et agréable pour les citoyens. En veillant à la propreté des espaces publics, les agents de maintenance participent non seulement à la protection de la ville, mais aussi à la prévention des nuisances environnementales, comme que la pollution ou la dégradation des habitats urbains. Cela souligne l’importance de reconnaître leur rôle vital dans la création d’espaces qui soutiennent la biodiversité et améliorent la qualité de vie des habitants.

Ainsi, il est alors essentiel de reconnaître l’importance des agents de maintenance et des gestes invisibles qui soutiennent notre environnement urbain. Leurs efforts sont rarement reconnus par le grand public, ce qui peut engendrer un sentiment de dévalorisation. Je pense qu’il est important de souligner l’importance des gestes invisibles et la reconnaissance du travail des agents d’entretien auprès de la population. Les espaces publics et les réseaux sociaux pourraient être utilisés pour diffuser des campagnes de sensibilisation illustrant l’impact de chaque intervention d’entretien. L’installation de panneaux explicatifs dans certains espaces entretenus, précisant le travail effectué et ses bénéfices pour les usagers, permettrait également de valoriser cette activité auprès du public. Par ailleurs, inclure des témoignages d’agents de maintenance dans des médias locaux, ou organiser des visites guidées des coulisses des opérations de maintenance, donneraient aux citoyens un aperçu concret de l’importance de leur travail. Il est alors temps de prendre conscience collectivement du rôle essentiel de la préservation des espaces publics et d’agir en conséquence. En réfléchissant à cet article et aux enjeux qui en découlent, je réalise à quel point chaque action, même discrète, contribue à l’amélioration de notre paysage urbain.

Aujourd’hui, nous vivons dans un monde où l’écologie occupe une place bien plus importante qu’auparavant, il est alors crucial d’envisager comment nous pouvons collaborer pour construire des villes plus durables et plus inclusives dans un monde encore porté sur le capitalisme. Par exemple, encore aujourd’hui des grandes firmes utilisent l’écologie et la préservation de l’environnement comme un prétexte de faire de l’argent. C’est ce que montre un documentaire sur Netflix : “Seaspiracy“. Ce documentaire montre comment des géants de l’industrie de la pêche exploite l’écologie pour y faire du profit. Dès lors, je pense qu’aujourd’hui, en tant qu’acteur de la société, il est essentiel de rester critique et de s’assurer que nos actions et nos convictions aillent vers un véritable engagement propre à chacun.

Elian Monnier-Bourdin


¹Denis, J. & Pontille, D. (2020) ‘Maintenance et attention à la fragilité’, Revue d’Anthropologie des Connaissances, pp. 235-256.                                                                                                                        ²GIEC (2023) ‘AR6 Synthesis Report : Climate Change 2023’, Intergovernmental Panel on Climate Change.                                                                                                                                                        ³Garric, A. & Strek, K. (2024) ‘A Copenhague, le rêve d’une ville décarbonée’, Le Monde.              ⁴Nerbollier, D. (2018) ‘Berlin relève le défi de la propreté’, Le Figaro.

 

Aide à la maintenance

Il est presque devenu impossible de se balader dans une ville sans croiser de déchets par terre. À qui ce n’est pas déjà arrivé de croiser une personne en train de jeter un déchet par terre ? Qui n’a jamais croisé de déchet en pleine ville ? C’est quelque chose de banal et qui n’est pas près de s’arrêter là, selon le rapport annuel de la ville de Paris, en 80 ans, la poubelle annuelle des parisiens est passée de 239 kg à 375 kg, soit une hausse de 56,9 %. Une autre prévision de Statista prévoit une augmentation de déchets de 70 % entre 2016 et 2050. Mais alors, comment stopper la pollution des villes par les déchets ?

Dans cet article je propose de s’intéresser à trois exemples qui permettent une diminution de la pollution par les déchets en ville.

Ludovic, son rapport à la ville 

Lorsque l’on parle de déchet, on n’associe généralement pas les personnes qui les enlèvent. Agissant dans l’ombre ou sous nos yeux, ces personnes passent bien souvent inaperçues. C’est devenu quelque chose de banal : une personne salit, une autre nettoie et on en reste là. Ludovic Franceschet, un agent de propreté de la ville de Paris, a décidé d’exposer son quotidien, sur les réseaux sociaux instagram et TikTok 1, de mainteneur pour créer une mobilisation citoyenne. Il expose son quotidien en faisant des vidéos de préventions (il montre les bons gestes à suivre), en faisant des vidéos de dénonciation (il montre une personnes jeter un mégot au sol). Sa volonté de sensibilisation lui permet une très forte exposition auprès du monde. Cette exposition entre en contradiction avec l’effacement des mainteneurs créé par la société.

Ludovic Franceschet
Crédit : Fenris Vrignon – Ludovic Franceschet en train de travailler, Mars 2024

Lors d’un entretien filmé en mars 2024 pour un portrait documentaire de Ludovic 2 : Ludovic : Au cœur de la ville. Ludovic soulève une grille en métal révélant un tas de mégots. Sans l’intervention de Ludovic, je n’aurais pas vu ce tas de déchets. Cela rejoint David Pontille et Jérôme Denis dans l’article Maintenance et attention à la fragilité, article sortit en 2020, où la maintenance a besoin de mainteneurs qui ont acquis, au fur et à mesure du temps, de l’expérience. Cette expérience est essentielle pour maintenir correctement la ville, elle est basée sur la connaissance des éléments, sur l’utilisation des sens.

J’ai également accompagné Ludovic pour aller récupérer une seringue jeté au sol près de Beaubourg. Son collègue n’étant pas muni d’une pince et d’une boite spéciale, il ne pouvait la toucher, il a donc donné l’alerte au centre de Châtelet. Lors de cette marche avec Ludovic, j’ai remarqué l’urgence et l’importance de récupérer cette seringue. Tant que celle-ci n’était pas dans la boite adaptée, il y avait un risque qu’un enfant se blesse avec, qu’un passant se plante la seringue dans le pied, qu’une personne l’utilise comme arme. Le mainteneur n’est pas seulement là pour maintenir, il permet aussi une certaine protection.

Crédit : Fenris Vrignon – Ludovic Franceschet en train de ramasser la seringue, Mars 2024

Ludovic Franceschet évoque son ressenti vis-à-vis du civisme des gens, du civisme des habitants de Paris. Il exprime sa pensée en disant que nous ne prêtons plus assez d’attention aux éléments polluants, que pour qu’un lieu soit maintenu, il faut qu’une action collective soit faite, qu’il y ait une prise de conscience. C’est de par cette volonté de sensibiliser en exposant son quotidien qu’il utilise les réseaux sociaux pour mobiliser sa communauté sur le respect de l’environnement, de la ville et de la population..

Un exemple de Scandinavie ?

David et Jérôme évoquent dans leurs articles, à l’aide de deux entretiens réalisés avec deux mainteneurs différents, l’idée que chaque maintenance appartient à un mainteneur dont lui-même a acquis de l’expérience qui lui permet de mieux comprendre le problème auquel il est confronté et ainsi d’agir en conséquence. D’ailleurs, avec l’exemple de Ludovic, il y a cet aspect d’expertise et d’analyse de situations, or, bien que pour certains domaines, il faille un mainteneur qualifié, il y en a d’autres où l’action collective pourrait être une maintenance à part entière.

Cette dimension de maintenance collective est très présente dans les pays scandinaves où dès le plus jeune âge les individus sont sensibilisés aux enjeux. Au Danemark, la maintenance collective y est fortement présente. Dans la capitale, København , selon les chiffres de la ville, plus de 60% des personnes se déplacent à vélo pour se rendre à leur travail. Cette utilisation du vélo (utilisation dans tout le pays) est rendue possible grâce aux infrastructures mises en place pour renforcer et ce moyen de transport : pistes cyclables, abris vélo, feux de circulation pour vélos, et également grâce à la sensibilisation du peuple danois sur les sujets environnementaux.

Dès le début de cet article, j’exprime le problème des déchets dans la ville, du fait qu’on a tous connu une ville avec des déchets. Cependant, dans certains pays comme le Danemark, l’action collective est visible. En effet, si une personne laisse un déchet derrière elle, soit les personnes autour lui font une remarque pour qu’il ramasse ce qu’il a laissé, ou alors une personne va prendre ce déchet et le mettre à un emplacement adapté. Grâce à cette maintenance collective de la propreté, le Danemark est l’un des pays les plus écologique au monde (selon le classement IPE des pays, en 2022 le Danemark obtient la meilleure note de 77.90/100 – IPE est basée sur la qualité de l’air, l’assainissement de l’eau, la gestion des déchets). C’est notamment ce genre d’actions collectives que souhaite Ludovic.

Les nouvelles technologies

C’est dans ce principe de maintenance collective que la ville de Versailles, en Île-de-France, s’est associée en juin 2024 avec une start-up française, beautifulcities, pour détecter les zones de dépôt de déchets. La start-up française utilise l’intelligence artificielle pour cartographier précisément les zones d’abandon de déchets dans la ville de Versailles. Cela permet aux mainteneurs de pouvoir agir sur ces zones et également de prévenir ces secteurs pour diminuer l’abandon de déchets. David Pontille et Jérôme Denis ont par ailleurs parlé d’un même procédé pour les mainteneurs agissant sur les graffitis. Ces méthodes s’inscrivent plus dans une idée d’aide à la maintenance que dans une idée de maintenance collective, bien que les deux soient liées.

Bien que la propreté dans la ville soit un sujet parfois compliqué à aborder auprès du public, il est essentiel de se mobiliser collectivement pour aider au maintien et à l’amélioration de la propreté en ville. Le cas du Danemark montre que cette mobilisation peut être créée par les citoyens. Si chaque ville entreprend des actions comme l’a fait la ville de Versailles, cela améliorerait grandement la propreté de nos villes.

 

Vrignon Fenris 


1. Ludovic Franceschet cumule plus de 530 000 abonnés sur les deux réseaux sociaux

2. Portrait documentaire réalisé par Fenris Vrignon et Paul Renaud lors de notre troisième année d’étude de cinéma à l’université de Paris 8.

Bibliographie :

PONTILLE David , DENIS Jérôme, « Maintenance et attention à la fragilité », Du pragmatisme au méliorisme radical, 20 mai 2020.

Quand la ville protège ses murs: Graffitis et muralisme au Mexique

Lors de mon voyage au Mexique, un pays aux mille visages et d’une richesse culturelle incroyable, j’ai eu l’opportunité de me plonger dans un univers artistique fascinant: celui du muralisme. C’était bien plus qu’une simple découverte culturelle ; c’était une véritable immersion dans l’âme du pays. En effet, on y retrouve les valeurs du pays retranscris, la fierté culturelle, leur profond attachement à l’identité indigène et populaire. Je me souviens encore de la chaleur de l’air à Mexico, des couleurs éclatantes qui inondaient les rues, et de l’émerveillement que j’ai ressenti en me tenant devant les fresques monumentales de Diego Rivera, David Alfaro Siqueiros et José Clemente Orozco. Ces artistes ont marqué l’histoire du Mexique, non seulement par leur talent artistique, mais aussi par leur capacité à faire de l’art un puissant vecteur de messages sociaux et politiques.

Crédit: pinterest

Ce qui m’a vraiment marquée, c’est la manière dont le Mexique a su préserver cette tradition murale tout en la faisant évoluer. Dans chaque recoin de la capitale, l’art des murs racontait une histoire, parfois engagée, souvent émouvante, mais toujours profondément liée à l’identité culturelle du pays.  Une fusion vibrante des traditions indigène et espagnol et un esprit de résistance faces aux injustices constituent la culture mexicaine, faisant du pays un lieu où passé et présent coexistent avec fierté et résilience. Et puis, au détour d’une rue, j’ai découvert une autre facette de cet art mural : le graffiti contemporain.

Je me souviens particulièrement d’une promenade dans le quartier de Coyoacán, où les fresques des grands maîtres cohabitent avec des graffitis audacieux, plus modernes, mais tout aussi significatifs. Ce contraste m’a frappée : là où, dans d’autres pays comme la France, le graffiti est souvent perçu comme une dégradation urbaine, au Mexique, il semble avoir acquis une dimension culturelle et sociale beaucoup plus profonde. Effectivement, le Mexique est confronté à des enjeux sociaux complexes. Entre inégalités, violences et droits communautaires marginalisés, le graffiti est devenu un outil de résistance et de prise de parole pour ces causes. Lors de mon voyage solidaire et interculturel que j’ai eu l’occasion d’effectuer en 2019, j’ai eu la possibilité de discuter avec des artistes locaux appartenant à une association de quartier. J’ai réalisé à quel point le graffiti est devenu un moyen pour les nouvelles générations de faire entendre les voix marginalisées, de dénoncer les inégalités sociales en abordant des thèmes comme la justice sociale ou encore les droits humains.  C’était fascinant de voir à quel point ces graffeurs s’inscrivent dans la continuité du muralisme traditionnel, comme s’ils prenaient le relais des fresquistes du XXe siècle.

Crédit: pinterest, fresque Frida Kahlo

Mais tout n’est pas toujours aussi harmonieux. En discutant avec des locaux lors des ateliers que l’on préparait avec l’association avec laquelle j’intervenait dans le cadre de mon voyage solidaire, j’ai appris que certaines autorités mexicaines s’efforcent de maintenir un équilibre entre protection des œuvres et préservation de l’ordre public. Dans les quartiers où le graffiti est valorisé, les autorités locales mettent en place des mesures pour protéger ces créations, les intégrant parfois au paysage culturel de la ville les mêlant ainsi au tourisme.  Par exemple, certaines fresques sont recouvertes d’un vernis protecteur qui permet de les préserver face aux intempéries, tandis que dans d’autres zones, les graffitis sont régulièrement photographiés et archivés avant d’être effacés, en tant que témoignages d’un moment historique. Il existe même des initiatives de la ville de Mexico qui encouragent les jeunes artistes à s’exprimer dans des espaces dédiés, afin de canaliser cette créativité tout en limitant les actes de vandalisme.

Cette gestion réfléchie du graffiti m’a rappelé les débuts du muralisme : à l’époque, les fresques étaient parfois perçues comme provocatrices ou  politiques, mais avec le temps, elles ont été reconnues comme un patrimoine précieux. Aujourd’hui, cela perpétue.  Des festivals sont organisés dans l’objectif de mettre en lumière ces travaux. À l’instar de Meeting of Styles Mexico ou encore Festival de Arte Urbano qui visent à valoriser le travail réalisé par les professionels.

Mon expérience au Mexique dans le volontariat solidaire m’a permis de voir l’art urbain sous un nouveau jour. J’ai réalisé que, qu’il s’agisse de muralisme ou de graffiti, cet art est un miroir des tensions, des espoirs, et des luttes d’une société. Les artistes mexicains, qu’ils soient de grands muralistes ou de jeunes graffeurs, continuent d’investir les murs pour y écrire leur histoire. Et j’ai été profondément touchée par leur détermination à faire de l’espace public un lieu de dialogue et d’expression, perpétuant ainsi une tradition artistique qui, au fil des années, n’a fait que gagner en force et en profondeur.

Dounya El hajami