Il y a de ces lieux où le silence s’impose. Plus qu’une interdiction de parler, le silence nous incombe. Dans les lieux religieux, dans les cimetières, nous chuchotons ou nous arrêtons de parler. Cette coutume semble lier à la corrélation entre le silence et la mémoire, nous nous taisons pour nous recueillir, pour honorer quelqu’un ou quelque chose.
C’est ce silence qui m’a marqué quand je suis entrée pour la première fois dans le cimetière du père Lachaise. Habituellement, je ne vais pas au cimetière pour me promener, mais plutôt pour des sépultures, dans un cadre plus triste et solennel. Ce n’était pas réellement l’occasion de se questionner sur le cimetière en lui-même. Alors quand je suis arrivée au cimetière du Père Lachaise, j’ai été frappée par l’atmosphère pensant et l’absence de bruit ou plutôt par le poids du silence. Ce ressenti est d’autant plus impressionnant par rapport au contraste avec l’extérieur du cimetière. Il est situé en plein Paris, entouré de boulevard, de métro, d’écoles, des éléments bruyants de la ville. Et pourtant, en y entrant, on se retrouve sous un dôme. Ce serait un mensonge de dire que l’on entend plus rien, la ville reste bel et bien présente autour, mais le cimetière est calme. L’atmosphère peut-être lourde et pesante pour les personnes qui aiment le bruit, mais aussi calme et apaisante pour ceux qui cherchent le silence.
Pour l’observation, je suis allée trois fois au cimetière, et sans m’en rendre compte, j’y ai entrepris des voyages auditifs différents. A des moments, j’étais accompagnée, et nous discutions de ce que nous voyons et entendons. D’autres fois, j’écoutais de la musique classique. Autrement, j’écoutais simplement la mélodie du cimetière. A travers cet article, je souhaite vous emmener flâner avec moi dans le cimetière. J’ai enregistré quelques moments de ma balade, sans chemin tracé et sans savoir quels sons j’allais croiser. Je vous invite à entrer au cimetière du Père Lachaise avec moi :
Pour vous situer un peu, je suis sortie du métro 3 à l’arrêt Père Lachaise, j’ai remonté le boulevard de Ménilmontant, en longeant le mémorial aux morts de la Grande Guerre. Je suis entrée dans le cimetière, et ai remonté l’allée principale. Puis je me suis laissé transporter par le cimetière, l’oreille tendue. Dans cet enregistrement, vous pouvez déjà percevoir certains bourdonnements du lieu que je vais maintenant vous décrire.
Les morts ne font plus un bruit et nous n’allons quand même pas les réveiller ! Le silence est vu comme une forme de respect pour les morts, et pour les vivants qui se recueille. Grâce à lui, nous honorons la mémoire des défunts. Mais cette opposition entre la mort et le bruit n’est pas absolue. Quand on y pense, pour le vivant, il y a rien de plus bruyant, de plus présent que le chagrin. Les morts ne peuvent plus émettre de son, mais les vivants ne peuvent être réellement silencieux. Et pour cause, le battement du cœur, la respiration, la voix, les sons en général, sont les seules choses qui distinguent les morts des vivants. Le vivant se questionne donc en permanence sur la nécessité de garder le silence pour la mémoire ou sur le besoin de faire du bruit pour montrer que l’on est en vie. Dans certaines sociétés, les sépultures se font en chanson et en musique. L’ambivalence réside dans le fait que certains préfèrent célébrer la vie du défunt plutôt que de se canter au silence et au vide que laisse sa disparition. Cela nous invite à comprendre de quelle façon le vivant ramène le bruit dans le silence du cimetière.
Le murmure de la nature
Ce silence n’est pas imposable lorsque le cimetière ouvre ses portes aux vivants. Le Père Lachaise est souvent comparé à un parc dans lequel nous pouvons nous promener, mais aussi nous asseoir pour observer et écouter. C’est ce que je vous propose de faire dans ce deuxième audio.
Pendant longtemps, le cimetière n’était composé que de tombes et d’allées pavées. Aujourd’hui, la nature reprend ses droits. Il est accompagné depuis pour favoriser l’enrichissement de la faune et de la flore en son sein. Le but est de laisser se développer la biodiversité sans intervention humaine destructrice. La végétalisation du cimetière impacte directement son atmosphère. Désormais, le Père Lachaise prend aussi la forme du parc fleuri, idéal pour flâner au milieu de la capitale. Le retour de la flore naturelle, sans pesticide, entraîne aussi le retour de la faune. Les oiseaux y chantent, volant d’arbre en arbre, il semble même discuter au-dessus des tombeaux. Vous pouvez les écouter !
Le chant des oiseaux prend le pas sur les bruits de la ville. Ils nous offrent une douce mélodie et accompagnent les visiteurs et les familles endeuillées. Le cimetière est ponctué du gazouillis des oiseaux, mais pas seulement. Des chats se promènent dans le cimetière. Certains ont même eu la chance de croiser un chien malinois. La faune est bien présente pour rythmer le cimetière. En parallèle, le vent effleurant les arbres et le crépitement des feuilles qui tombent, participent aussi à l’atmosphère sonore du cimetière. La nature propose une belle mélodie automnale. Et tous ces animaux, ces plantes, ces arbres, toute cette biodiversité se mêlent jour et nuit faisant vivre, en permanence la demeure des morts.
L’écho de la maintenance
On ne peut empêcher la nature de faire du bruit, mais on peut encadrer celui des humains. Chaque jour, le cimetière ouvre ses portes au commun des mortels et fait entrer les sons « admis » ou « autorisés ». Le lien entre la nature et les humains se fait grâce aux jardiniers. Ils accompagnent le développement de la biodiversité et interviennent pour ramasser les feuilles mortes ou couper les branches d’arbre devenues dangereuses. Le bourdonnement de leurs outils peut rappeler celui des travaux de la ville. Ils sont l’écho de la maintenance du cimetière.
En effet, les tombes sont entretenues tout au long de l’année par le personnel du cimetière. Pendant, mes balades j’ai croisé de nombreuses personnes chargées de l’entretien du cimetière. Certains se font entendre par leur voix, discutant de la façon dont ils vont bétonner une tombe. Pour d’autres, ce sont le bourdonnement de leurs outils qui retentissent. Vous pouvez écouter ici le bruit des travaux en cours sous le crématorium.
De même, on entend souvent les voitures ou les camionnettes des agents d’entretien du musée. Ici, le râle du moteur d’une camionnette de nettoyage dans une des allées principales du cimetière.
Si beaucoup d’outils mécaniques sont utilisés pour la maintenance du cimetière, la mémoire se grave à la main. En me promenant, j’ai pu tendre l’oreille et entendre un graveur d’épitaphe. Écoutez, vous aussi le crépitement de ses outils inscrivant les mots qui orneront la pierre tombale.
Tous ces sons « autorisés » au sein du cimetière semblent contraires au silence qu’incombe la mémoire des morts. Et pourtant leurs bruissements sont le fruit d’actions nécessaires à la maintenance du cimetière et donc à la mémoire des personnes qui y reposent.
Le bourdonnement des visiteurs
Les visiteurs sont les seuls à vraiment pouvoir faire silence au sein du cimetière. Mais, même si on le voulait, ce serait impossible. Le cimetière abrite une grande diversité de personnes avec des métiers différents, des origines du monde entier. Et si les morts sont silencieux, ceux qui restent ne le sont pas. Les familles des défunts sont toutes très uniques et ont toutes différentes manières de faire leur deuil. Le ruissellement des larmes sur leurs joues, les sanglots du deuil, les prières mais aussi les chants de recueillement se mêlent à la musique du cimetière. Le deuil est finalement quelque chose de très subjectif. Je n’irai pas jusqu’à enregistrer les personnes endeuillées. Mais le dispositif autour de la sépulture rythme lui aussi la musique du cimetière. Vous pouvez écouter le son d’un corbillard en stationnement.
Le bruit des humains est aussi représenté par les voix et les déplacements des visiteurs. Certains discutent entre eux, d’autres nous laissent simplement entendre leurs pas sur les feuilles d’automne et les pavés du cimetière.
D’autres se recueillent sur les tombes de célébrités. Le Père Lachaise est aussi connu pour les nombreuses célébrités qu’il abrite. Des fans du monde entier y viennent pour un dernier au revoir à Edith Piaf, ou Jim Morrison. Des acteurs, des chanteurs, des danseurs, des poètes, des écrivains reposent au cimetière. Tant de personnes que l’on a beaucoup entendu de leur vivant. Certains de leurs fans osent ainsi se recueillir en chanson, sur leur tombe. Lors de la première sortie d’observation de Père Lachaise, avec mon amie, nous avons croisé un guide et ses clients sur la tombe de Gilbert Bécaud. Ils nous ont chanté un petit bout de « Nathalie », une célèbre chanson du chanteur. Les fans rompent ainsi le silence pour rendre hommage aux défunts. Des chuchotements aux chants, la voix des vivants fait résonner la mémoire des morts.
Il est maintenant temps pour nous de sortir du cimetière, de retrouver le vacarme des vivants.
Le seul silence absolu est celui des morts. Le cimetière l’accueille mais laisse aussi les vivants faire entrer leur mélodie. Se promener dans le cimetière permet de découvrir une balade unique à travers un lieu rempli d’émotions. L’expérience n’est jamais anodine, le Père Lachaise peut être vu comme un parc ou un simple lieu de passage, mais on ne se promène pas de la même manière dans un cimetière que dans un parc. Cet endroit public semble être suspendu hors du temps. Il nous propose différents voyages intéressants, le voyage auditif était pour moi le plus frappant. Il faudrait certainement revenir au cimetière à une autre saison pour y percevoir une autre mélodie, comme à un concert de Vivaldi.
S’il le cimetière m’a paru très insonore de premier abord, il est en réalité bien plus assourdissant qu’on le pense. Le poids de son silence ou l’écho des vivants qui le jonchent crée une atmosphère aussi pesante qu’apaisante. Il nous rappelle que nous seuls, vivants, pouvons émettre des sons et que le silence n’appartient qu’au mort présent sous nos pieds. Nos murmures, nos grincements, nos grondements, nos chants réveillent le cimetière et nous font comprendre que si nous chantons c’est que nous sommes vivants.
Zoé Gautier
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
zoegautier (13 décembre 2022). Cimetière du Père-Lachaise, comme un dôme silencieux en plein Paris. Comment voit-on la ville ? Consulté le 7 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/v7rg