Au moment oĂč nous avons commencĂ© cet atelier dâĂ©criture et dâobservation de la ville, les rassemblements dans lâespace public Ă©taient encore permis. Comme nous sommes un petit groupe dâĂ©tudiant-e-s, nous avons cru que les sĂ©ances dâobservation collective, prĂ©vues initialement dans le quartier La DĂ©fense, seraient possibles. Avec les annonces du 28 octobre 2020 â et le dĂ©but du deuxiĂšme confinement â Ă©chapper Ă la pandĂ©mie devient impossible : au-delĂ de lâobligation de respecter les gestes barriĂšres (distanciation et porte du masque), nous avons Ă©tĂ© contraints par les rĂšgles sur les dĂ©placements (restreints Ă 1 km) et les regroupements (interdits dans lâespace public). LâaccĂšs Ă la ville devient difficile pour les citadins, mais Ă©galement pour les Ă©lĂšve-e-s qui commençaient leurs enquĂȘtes.
Dans un premier temps, certains collĂšgues mâont conseillĂ© dâutiliser des images des camĂ©ras de vidĂ©osurveillance qui transmettent en direct des images des espaces de la ville 24h/24h. Les Ă©tudiants ont aussi Ă©voquĂ© cette possibilitĂ© en cours. Cependant, nous nous sommes rendu compte que nous ne pourrions pas analyser ces images sans nous interroger sur le contexte de rupture, de risque, et dâinstabilitĂ© dans lequel elles sont produites. Suite Ă lâurgence de trouver une autre thĂ©matique, nous avons dĂ©cidĂ© dâassumer les contraintes actuelles et de nous intĂ©resser finalement Ă la notion de « ville en crise », tout en vivant nous-mĂȘme la crise sanitaire. Nous ne cherchons pas ici lâexhaustivitĂ©-reprĂ©sentativitĂ© de la pĂ©riode que nous vivons. Loin de lĂ , ces comptes rendus sont ce quâils sont : des textes produits dans le cadre dâun atelier par des Ă©tudiant-e-s de premiĂšre annĂ©e de master en information-communication.
Notre travail sâinscrit dans une double approche. Tout dâabord, le (de)confinement et les mesures mises en place par le gouvernement sont lâobjet dâanalyse de certains textes : lâautorisation de se dĂ©placer dans le rayon dâun kilomĂštre, lâusage des espaces verts, places, stations balnĂ©aires, transports publics ou encore des problĂšmes dâordre socio-Ă©conomique⊠DeuxiĂšmement, les rĂšgles du confinement vont modifier-impacter fortement la façon dâenquĂȘter. Comment construire sa mĂ©thodologie tout respectant la lĂ©galitĂ© ? Certaines adaptations dans la façon de travailler sont mises en place pour essayer de contourner les limites. Contraints aux informations disponibles « au bas de leur porte », certains Ă©tudiant-e-s dĂ©cident dâutiliser leur heure de dĂ©placement quotidienne pour enquĂȘter. Dâautres, font appel aux cercles familial et amical pour continuer leur enquĂȘte, dans lâespoir justement dâaller plus loin dans la dĂ©marche dâobservation.
Baser son enquĂȘte sur des rĂšgles et des conditions si volatiles a eu pour effet de crĂ©er une instabilitĂ©. Lâannonce du prĂ©sident Emmanuel Macron du 24 novembre a Ă©tĂ© particuliĂšrement attendue par certains dâentre nous, car câĂ©tait la suite de lâenquĂȘte mĂȘme qui pouvait ĂȘtre en jeu. Les Ă©tudiant-e-s ont fait preuve de leur capacitĂ© dâadaptation. Nous pouvons lire cela dans les comptes rendus qui suivent : les effets de lâĂ©largissement du pĂ©rimĂštre dâun Ă 20 kilomĂštres et lâaugmentation du nombre dâheures de sortie autorisĂ©e. Il faut sâajouter les observations commencĂ©es dans une ville pour finir dans une autre, quand les Ă©tudiant-e-s sont revenu-e-s Ă Paris.
Pendant la pĂ©riode du deuxiĂšme confinement (du 29 octobre au 15 dĂ©cembre), les sĂ©ances de lâatelier dâune durĂ©e de deux heures ont Ă©tĂ© assurĂ©es via Zoom, une fois par semaine. Nous avons rĂ©servĂ© 4 heures de notre atelier pour discuter les sujets choisis, la construction de la mĂ©thodologie dâobservation et les limites, surprises et difficultĂ©s rencontrĂ©es sur le terrain. Comment crĂ©er une mĂ©thodologie, un protocole, un schĂ©ma Ă suivre ? Les observations et les entretiens-rencontres avec des acteurs du terrain ont Ă©tĂ© finalement les mĂ©thodologies les plus utilisĂ©es par les Ă©tudiant-e-s. Ceci est justifiĂ© par le fait que dâun point de vue thĂ©orique, nous nous appuyons dĂšs le dĂ©but de lâannĂ©e sur une double cadrage. Tout dâabord, nous nous intĂ©ressons au fonctionnement de la ville, Ă partir des Ă©lĂ©ments de lâespace urbain, en se focalisant sur les typologies et les catĂ©gories de Kevin Lynch (1971). Ensuite, nous nous basons sur la perception que les citadins ont de la ville (Antoine Bailly, 1977) Ă partir dâune approche plus symbolique des interactions humaines, des vĂ©cus et des valeurs socioculturelles des usagers de la ville (William Foote White, 1943).
Nous avons ouvert ce carnet HypothĂšses au dĂ©but du semestre dans la logique de donner aux Ă©tuditant-e-s la possibilitĂ© de travailler collectivement un objet numĂ©rique-Ă©ditorial qui sert Ă valoriser leur travail dâenquĂȘte. En partant de leurs compĂ©tences en communication, trois formats ont Ă©tĂ© proposĂ©s pour les publications qui suivent : la photographie, le texte et la mise en page. Câest la raison pour laquelle certains comptes rendus ont plus de photos et moins de texte et vice-versa. Aussi, cela explique la possibilitĂ© de tĂ©lĂ©charger certains textes au format PDF. Les Ă©tudiant-e-s avaient aussi le choix de lâidiome et les textes en langue Ă©trangĂšre ont Ă©tĂ© fortement encouragĂ©s.

Promotion 2020/2021 : la ville dans la hess
Nous remarquons une porositĂ© entre ce qui relĂšve des notes de journal de terrain et ce qui pourrait sâinscrire dans la catĂ©gorie du journal intime. Les Ă©tudiant-e-s ont fait part de la difficultĂ© de trouver un sujet sans partir de soi, de ses expĂ©riences personnelles et de son lieu de rĂ©sidence. Ainsi, câest en partant de sa porte que RĂ©mi Le Guillon sâintĂ©resse en quoi la rĂšgle du « un kilomĂštre » pourrait influencer la dynamique de son quartier au 11e arrondissement de Paris et comment les diffĂ©rents citadins cherchent la « normalitĂ© » dans leurs dĂ©placements dans cet espace. AdĂšle Jonas part aussi de sa proximitĂ© du bois de Vincennes pour interroger la mĂȘme rĂšgle Ă partir des usages des espaces vertes. Elle observe un rond-point au centre du bois et interroge les passants sur le respect des mesures sanitaires.
De lâautre cĂŽtĂ©, pour certains, il nây a rien qui se passe depuis leur fenĂȘtre. Une Ă©tudiante nous dit : « Il nây a rien que se passe Ă cĂŽtĂ© de chez-moi, si je dois respecter 1 km ». ConfinĂ©-e-s, certains nâarrivent pas Ă identifier les interactions, qui restent trĂšs limitĂ©es sur les zones rĂ©sidentielles, dans les petites villes, et Ă la campagne. Le compte rendu de Romane Margerit est particuliĂšrement intĂ©ressant puisquâelle interroge l’utilisation du « un kilomĂštre » dans diffĂ©rents types d’urbanitĂ©s pour montrer que nous n’avons pas le mĂȘme kilomĂštre Ă la ronde.
Puisquâon parle dâinĂ©galitĂ©s, deux Ă©tudiantes se sont penchĂ©es sur les impacts socio-Ă©conomiques du confinement et leur consĂ©quence pour les villes. Ainsi, OrĂ©anne Fagnon situe son analyse sur la commune de Saint-Denis, tout en sâintĂ©ressant Ă la prĂ©caritĂ© et Ă la crise de la faim que pouvaient subir des citoyens du fait du confinement. Ensuite, Elnura Kenenbaeva enquĂȘte sur la construction des garderies Ă Levallois-Perret, des espaces créés pour assurer la sĂ©curitĂ© des parents-employĂ©s qui travaillent sur place pendant la crise du coronavirus.
Certains Ă©tudiant-e-s ont quittĂ© Paris pendant le confinement et sont retournĂ©-e-s chez leurs parents. Contraints par ce dĂ©placement, ils sont amenĂ©-e-s Ă enquĂȘter sur la ville oĂč ils ont grandi ou le lieu de rĂ©sidence (secondaire ou primaire) de leur famille. Marc CĂŽme, par exemple, a produit un compte rendu sur lâimpact des mesures en place dans lâusage de la station balnĂ©aire par des habitants de Royan. Il parle de rĂ©amĂ©nagement et des ruptures habitude et du quotidien, en comparant la pĂ©riode estivale aux deux confinements. Ou encore Louise BothĂ© qui explore la liaison entre ville et pĂ©riphĂ©rie en crise, en enquĂȘtant sur les transports publics Ă partir de la station de mĂ©tro La Poterie Ă Rennes. Elle compare la frĂ©quentation en temps de crise et en temps « normal ».
Les Ă©tudiant-e-s ont Ă©tĂ© souvent intĂ©ressĂ©-e-s par ce que le confinement produit de nouveau, ils voulaient identifier ce qui serait perçu par les habitants comme inĂ©dit. Or, parler de nouveautĂ© dans lâappropriation de la ville et les usages des espaces par les citoyens, implique de questionner ce qui est entendu par « normal ». Le deuxiĂšme critĂšre plus difficile Ă identifier, car les donnĂ©es dâobservations sur ces espaces pendant la pĂ©riode avant-confinement sont rares. Pour parler du service click&collect, Jean-Camille Bouteillon Ă©crit sur la dynamique urbaine de lâĂźle Saint-Louis Ă partir de la perception de ses commerçants. Irchaf Bouhmama a enquĂȘtĂ© sur les nouveaux usages de la place Lucien Bouchard Ă Charleville-MĂ©ziĂšres et sur comment le confinement rĂ©duit la convivialitĂ© de ses espaces conçus principalement pour le passage, le loisir et la rencontre.
Toujours dans cette logique, trois Ă©tudiant-e-s ont produit des comptes rendus sur les (nouveaux) usages des parcs et espaces verts. En partant dâune dĂ©couverte personnelle, Laure Boursier a fait des observations de lâĂ©tang du Moulin Ă vent Ă Guyancourt pour dĂ©gager les diffĂ©rents usages de cet espace pendant le confinement et les frontiĂšres (invisibles) qui sĂ©parent ses utilisateurs. Pareillement, SĂ©rĂ©na Jupille se penche sur les usages (et les usagers) du parc des Buttes Chaumont dans le 19e arrondissement de Paris. Auriane Jaillet utilise la technique des dessins-entretiens pour comprendre le sens donnĂ© Ă la place Montgomery Ă Neuilly-Plaisance. Elle part de cet espace devenu uniquement lieu de passage, avec des bancs qui restent vides.
Abordant les dĂ©placements en Ăle-de-France, Babacar Ndiaye a observĂ© la frĂ©quentation de la gare de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) pour Ă©tudier les effets du confinement en termes dâagencement des espaces dans une station du RER D. Alice Farrando explore lâusage des transports commun pendant la pandĂ©mie : elle observe lâutilisation des vĂ©los et des trottinettes Ă Paris, dans le quartier de Saint-Germain-des-prĂšs. Linçia Landrezeau sâintĂ©resse Ă la pĂ©rennisation dâespaces créés suite au premier confinement, en observant ce que lâamĂ©nagement des pistes cyclables de la rue du Rivoli engendre dans le quartier et mĂȘme dans sa globalitĂ© sur la ville de Paris.
Pour nous aider Ă lâĂ©largir ce que nous entendons par « ville en crise », quatre Ă©tudiant-e-s ont choisi des sujets qui nâont pas un rapport direct avec la pĂ©riode de confinement. Caroline Dossous sâest rendue Ă Conflans-Sainte Honorine un mois aprĂšs lâattentat du professeur Samuel Paty pour identifier les lieux de mĂ©moires et le dĂ©sir de retour Ă la « normalitĂ© » des habitants du Val dâOise. Mathieu MogĂšs Ă©crit sur le passĂ© culturel et mĂ©moriel de CompiĂšgne : en enquĂȘtant sur lâamĂ©nagement du camp de Royallieu, qui a servi de campement pendant la DeuxiĂšme Guerre mondiale, il cherche Ă comprendre comment un lieu marquĂ© par lâhorreur de la guerre est rendu « attractif » dâun point de vue urbanistique. La ville en guĂšre fait aussi lâobjet du compte rendu dâAngĂ©lique Minassian qui parle de la reconstruction de Stepanakert. Elle aborde cette thĂ©matique Ă partir de la crise humanitaire provoquĂ©e par le conflit gĂ©opolitique entre lâArmĂ©nie et lâAzerbaĂŻjan, qui a fait plonger la rĂ©gion du Haut-Karabakh. Enfin, nous avons le travail dâAgali Almoctar Moussa sur comment les frĂ©quentes inondations dans la ville de Niamey (capitale du Niger) freinent le dĂ©veloppement (ou le dĂ©ploiement) de lâaccĂšs au numĂ©rique et Ă ce quâon entend par Smart City.